Styliste culinaire : 3 jours de boulot pour 3 secondes de pub

Non, la dinde végane du spot de Noël n'a pas l'air vraiment comestible. Une gelée brillante recouvre un amas couleur marron, les « cuisses » se composent de deux branches de céleri flétries. Pourtant, au début, elle semblait appétissante. Thierry Fuchs, styliste culinaire, a dû l'enlaidir sur ordre du réalisateur. Le plat – comestible et végan en premier lieu – de la version du spot a été réalisé par Thierry Fuchs qui nous a donné la recette. Dans l'interview, il dévoile quelques-unes de ses astuces et les difficultés rencontrées.

Thierry, comment êtes-vous devenu styliste culinaire ?
Thierry Fuchs : j'ai d'abord appris le métier de cuisinier au sein d'un hôtel de renom. Mais la cuisine gastronomique n'étant pas faite pour moi, je voulais me lancer dans la photographie. Un photographe m'a engagé comme stagiaire, principalement en raison de mes connaissances culinaires. Les nombreux shootings de nourriture m'ont permis de réaliser que la photographie était trop technique pour moi. J'ai donc décidé de devenir styliste culinaire. Il y dix ans, ce métier n'existant pas en Suisse, je me suis déclaré styliste culinaire, tout simplement.

**Où avez-vous appris si vous dites que vous faisiez partie des premiers dans le secteur ?
J'ai appris tout seul. J'ai d'abord dû me faire un nom en gagnant la confiance des gens. Souvent, je dispose de gros budgets pour mettre en scène des aliments pour des emballages. Avant de me faire un nom, j'ai dû serrer les dents. Aujourd'hui, les contrats pleuvent.

Comment avez-vous fait pour convaincre les clients ?
Avant, c'était les décorateurs d'intérieur qui s'occupaient du stylisme culinaire, comme ça, entre deux activités. Mon atout, c'est d'être cuisinier de métier. Ma devise ? Le côté naturel et authentique. Beaucoup de gens achètent n'importe quels aliments. C'est ce que j'appelle le cupcake styling : c'est la mise en scène de deux cupcakes ou d'un gâteau achetés. Ce n'est pas mon truc. Comme j'ai des connaissances en la matière, j'arrive à mettre en scène des aliments préparés par mes soins.

Était-ce la bonne décision ou la cuisine vous manque-t-elle encore parfois ?
Non, j'ai beaucoup d'amis dans la gastronomie, un domaine qui présente bien des difficultés en période de pandémie. J'ai des horaires de travail normaux et j'ai la possibilité de travailler avec des produits alimentaires. Je continue aussi à cuisiner beaucoup, que ce soit pour la famille, essayer de nouvelles recettes ou, dans votre cas, créer quelque chose pour une pub.

La dinde végane était une commande pour une vidéo. À part ça, vous travaillez beaucoup pour des photos, qu'est-ce qui est plus difficile?
Dans le cas des missions vidéo, on est un maillon parmi tant d'autres. Les efforts à fournir sont beaucoup plus importants. Le spot Galaxus en est l'exemple. Pour le menu complet sur la table, je suis restée deux jours en cuisine. La dinde m'a pris une journée de plus. À la fin, on voit trois secondes de nourriture pour tout le temps investi.

Qu'est-ce que vous faites à part aider Galaxus avec ses pubs ?
Beaucoup de mise en scène pour des emballages. J'en ai fait plusieurs centaines au cours des quatre dernières années. Mais ce travail récurrent fait maintenant partie du passé. Actuellement, je travaille en freelance, par exemple pour des livres de cuisine.

Vous faites ça au pied levé ou chaque mission est un nouveau défi ?
(Il rit) J'aimerais parfois que ce soit simplement du copier-coller. Mais chaque mission est un nouveau défi. Chaque agence a des idées différentes. Chaque produit est différent. Bien sûr, l'expérience m'aide. Mais en principe, chaque mission apporte de nouveaux défis, par exemple cette dinde. Je voulais en reproduire une ressemblante. Comme elle était trop bien, le réalisateur a demandé à ce qu'elle le soit moins. J'étais un peu dépassé par les événements. Que voulait-il exactement ? Lors du shooting, nous l'avons découpée, avons remplacé les pattes par du céleri et mis de la gelée dessus. C'était ce qu'il fallait à ce moment.

Pouvez-vous nous donner quelques astuces pour que les aliments aient l'air appétissants?
C'est en fait notre secret de fabrication, mais de nombreux stylistes utilisent de l'huile de moteur pour faire briller la belle couleur foncée de la viande. Dans ce cas, j'utilise un mélange d'huile et d'huile de sésame. Pour les brochettes de barbecue, je brûle le motif du gril sur chaque morceau avec une baguette chaude avant de les enfiler sur la broche en bois. On empile les pancakes en intercalant entre chacune du carton pour que la pile ne s'effondre pas. Devant la caméra, la nourriture n'est pas facile à gérer : quand vous faites des pancakes maison, ça a l'air génial au premier abord, avec le sirop qui coule et tout. Mais devant la caméra, ce n'est qu'une masse brune et maculée. Le carton apporte une tenue et permet d'obtenir des couches bien distinctes les unes des autres. J'applique le sirop à l'aide d'une seringue.

Pour finir, avez-vous un conseil à donner sur la façon de bien présenter la nourriture pour les invités ?
Cela a aussi un peu changé, aujourd'hui les cuisiniers comme Jamie Oliver dressent les plats de manière très chaotique. J'ai travaillé dans une cuisine étoilée, où ce serait impensable. Pour les repas de fête, veillez à ce que les bords des assiettes restent bancs, en passant dessus avec du papier ménage par exemple.