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En coulisse

La règle des 10 % en course à pied : populaire, mais fausse

Siri Schubert
10/11/2025
Traduction : Stéphanie Klebetsanis

De nombreux joggeurs et joggeuses se blessent. Jusqu’à très récemment, on considérait que pour réduire le risque de blessures, il fallait éviter d’augmenter l’intensité de son entraînement de plus 10 %. Eh bien, un chercheur danois vient de prouver que c’est faux. Il nous révèle dans notre entretien ce qui nous protège vraiment.

« Il ne faut pas augmenter l’intensité de vos séances de plus de 10 % d’une semaine à l’autre. » Voilà une règle d’or que suivent de nombreux joggeurs et joggeuses. Cette recommandation a même été intégrée aux algorithmes des montres de course, et de nombreux programmes d’entraînement en ligne se basent dessus.

Si vous suivez les conseils de votre montre, vous vous entraînez probablement trop.
Si vous suivez les conseils de votre montre, vous vous entraînez probablement trop.
Source : Shutterstock

Pourtant, d’après les recherches les plus récentes (en anglais), c’est complètement faux. Dans le cadre de l’étude Garmin Runsafe Health, le Dr Rasmus Østergaard Nielsen, associate professor à l’université d’Aarhus, au Danemark, et son équipe ont recueilli des données auprès de 5205 coureuses et coureurs de 87 pays sur une période de 18 mois. Les participantes et participants ont consigné près de 600 000 séances ; 35 % ont subi une blessure de surcharge pendant l’étude.

Ce projet de recherche est le plus important de ce type. Il montre que ces blessures apparaissent soudainement, et non progressivement, comme on le pensait jusqu’à maintenant. Parfois, une seule course suffit. Je me suis entretenue avec le chercheur qui a dirigé l’étude.

De nombreux coureurs et coureuses – dont je fais partie – utilisent la règle des 10 % pour améliorer leurs performances. Sommes-nous complètement à l’ouest ?
À vrai dire, oui. Dans notre étude, nous avons découvert qu’une seule séance trop intense augmente nettement le risque de blessure.

Qu’en est-il vraiment ?
Admettons que vous courez entre 11 et 13 km au lieu de vos 10 km habituels. Votre risque de blessure augmente alors à 64 %. Si vous doublez l’intensité en une seule séance, c’est-à-dire si vous faites tout d’un coup 20 km au lieu de 10, le risque passe à 128 %.

De quel type de blessures parle-t-on ?
Des blessures de surcharge ; les tendons sont généralement les plus touchés. Le genou du coureur, le genou du sauteur, mais aussi les douleurs dans la rotule, à l’intérieur de la jambe et le syndrome de la crête tibiale sont typiques. Les inflammations du tendon d’Achille, les blessures à l’arrière de la cuisse ou la fasciite plantaire/l’épine calcanéenne, sont les plus fréquentes lorsqu’on augmente l’intensité des courses à des intervalles trop durs et trop fréquents.

Le Dr Rasmus Østergaard Nielsen adore courir. Il veut mieux comprendre pourquoi d’autres passionnés ont tendance à se blesser.
Le Dr Rasmus Østergaard Nielsen adore courir. Il veut mieux comprendre pourquoi d’autres passionnés ont tendance à se blesser.
Source : Rasmus Østergaard Nielsen

Pendant la durée de l’étude, 35 % des coureuses et coureurs ont subi des blessures de surcharge. Pourtant, le jogging est généralement considéré comme un sport sain, sans risques.
Mais les conséquences des blessures de course peuvent être graves, ce qu’ignore une bonne partie de la population. Par exemple, on ne peut plus s’entraîner pendant des mois, ou alors de manière limitée. Dans certains cas, les répercussions sont permanentes.

Qu’est-ce qui rend les blessures de course si sournoises ?
Bien qu’elles soient aussi graves que les blessures traumatiques, on tend à les sous-estimer. Malheureusement, elles mettent beaucoup de temps à guérir. Par exemple, en cas de lésion des tendons due à une sursollicitation répétée, on parle de trois à huit mois. Pire encore, certaines blessures ne guérissent jamais complètement.

Un tendon d’Achille enflammé est douloureux et met souvent beaucoup de temps à guérir.
Un tendon d’Achille enflammé est douloureux et met souvent beaucoup de temps à guérir.
Source : Shutterstock

Si les blessures de surcharge sont si fréquentes et que la règle des 10 % ne protège rien, pourquoi est-elle si répandue ?
Depuis plusieurs décennies, les supports de formation, les coachs, les physiothérapeutes et l’industrie des montres connectées se basent sur le principe que ces blessures apparaissent progressivement, sur le long terme. La recherche s’est donc concentrée sur la manière dont on augmente le nombre de kilomètres de semaine en semaine. On en a déduit la règle des 10 % : il faut éviter de courir plus de 10 % de plus que la semaine précédente pour faire progresser les performances sans trop risquer de se blesser.

Les algorithmes de nombreuses montres de sport utilisent cette règle pour recommander une augmentation sûre de la charge. Ils ne protègent pas du tout ?
Les algorithmes de certaines montres de sport et programmes d’entraînement génériques en ligne recommandent même 20 %. Pourtant, nous n’avons identifié aucun modèle cohérent qui confirme cette approche. Et nous menons nos recherches depuis 15 ans ! Au contraire, le nombre de blessures reste élevé.

Que conseillez-vous ?
Une progression en petites étapes. Je pense qu’une règle de 5 % protège mieux. Par exemple, les personnes qui se préparent à un marathon devraient commencer très à l’avance et augmenter progressivement l’intensité de leurs séances. Si vous débutez, il vous faudra probablement un an et demi pour tester un marathon avec un faible risque de blessure. Évidemment, vous pouvez courir plus vite, mais vous vous exposez à davantage de risques.

Quelle devrait être la course la plus longue quand on se prépare pour un marathon ? On parle souvent de 30 km, mais c’est faux, j’imagine.
J’essaierais d’atteindre 39 km maximum, pour réduire le risque de blessure et non parcourir la plus grande distance possible.

Sur Instagram et Tiktok, une des tendances actuelles consiste à courir un marathon sans préparation, en faisant appel à une prétendue force mentale. Mauvaise idée, n’est-ce pas ?
Le mental est très puissant, je ne dis pas le contraire, mais le corps a ses limites. Chacun a les siennes, mais une chose est sûre : personne n’est Superman ou Wonder Woman. Tout le monde finit par craquer.

D’autres facteurs influencent-ils le risque de blessure ?
La probabilité d’une blessure augmente lorsque les coureuses et coureurs portent de nouveaux modèles de chaussures, changent de terrain ou de vitesse et courent trop, par exemple. Si le volume et la répartition de la charge changent soudainement, d’autres structures doivent prendre le relais. Mais attention, elles ont besoin de temps pour s’adapter.

D’autres éléments entrent en ligne de compte ?
Les blessures antérieures restent des points faibles. Les personnes plus âgées qui ont déjà eu plusieurs petites blessures ne supporteront probablement pas un effort excessif. L’indice de masse corporelle (IMC) est un autre élément à prendre en compte, car les personnes plus lourdes ont un risque de blessure plus élevé. Je leur conseille de redoubler de prudence lorsqu’elles veulent augmenter l’intensité de leurs courses.

Certaines blessures ne disparaissent jamais complètement.
Certaines blessures ne disparaissent jamais complètement.
Source : Shutterstock

Les fabricants de montres de sport vont-ils adapter leurs modèles pour tenir compte des résultats de vos recherches ?
Je l’espère. Garmin nous a beaucoup aidés à recruter les participants de cette étude, mais l’entreprise n’a pas eu d’autre influence sur l’étude ou nos résultats. J’aimerais d’ailleurs qu’elle intègre nos résultats à ses algorithmes. Ça vaut aussi pour les autres fabricants. Nous avons rendu nos résultats accessibles à tout le monde. Notre objectif est avant tout de promouvoir des habitudes de vie saines. Nous n’avons aucun intérêt commercial.

D’après vous, que reste-t-il à faire ?
Nous serions curieux de savoir si les résultats seraient similaires dans d’autres disciplines sportives. Si quelqu’un fait 50 squats normalement et que, motivé par son entraîneur ou par un défi à relever, il en fait 500, j’imagine qu’il augmente aussi son risque de blessure. À mon avis, le problème est exactement le même que pour la course à pied. Nous aimerions recueillir des données et voir si notre hypothèse se confirme.

Merci beaucoup, Docteur Østergaard Nielsen, pour cet entretien et cet aperçu passionnant de vos recherches !

Photo d’en-tête : Shutterstock

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Plongeuse scientifique, instructrice de SUP, guide de montagne... même si les lacs, les rivières et les mers sont mes terrains de jeu favoris, je ne me laisse pas porter par le courant, car j'ai encore beaucoup à apprendre et à découvrir. J'aime aussi prendre de la hauteur et changer de perspective en volant avec des drones et en faisant du trail. 


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