En coulisse

Je trouve mes livres dans la rue

Michael Restin
28/2/2022
Traduction: Stéphanie Casada

Les boîtes à livres, qu'on appelle aussi microbibliothèques, croque-livres ou encore bibliothèques participatives selon l'endroit, mettent à disposition de tous des livres que des gens ne veulent plus. Je les trouve bien plus intéressantes que les collections de livres de particuliers. Elles ont du charme et racontent des histoires qui vont au-delà de leur contenu.

D'un côté, j'adore les livres. L'odeur du papier, le bruissement sensuel des pages que l'on tourne et l'intimité qui se dégage de la lecture. Aucun autre média ne me permet de m'immerger aussi directement dans les pensées des autres. Être chez moi tout en étant ailleurs ; sans être distrait par des images, des publicités ou des champs de commentaires. D'un autre côté, je n'ai aucun mal à me séparer de livres. Je ne dois pas les garder. Je suis assez rationnel. Du moins, tant que la place est un critère et que je ne possède pas de pièce avec une cheminée et une bibliothèque que mes héritiers devront vider un jour.

Tant que ce n'est pas le cas, les livres peuvent aller et venir. À quoi servent les bibliothèques ? À emprunter, lire, prolonger l'emprunt, recevoir un premier rappel, terminer la lecture, rendre le livre. Si le contenu était bon, il restera gravé dans notre mémoire. Le livre est rendu. C'est aussi simple que ça. Et d'une certaine manière, cette façon de fonctionner est la bienvenue quand il n'y a de toute façon plus de place sur l'étagère familiale qui est déjà pleine à craquer. Les livres ont besoin d'espace pour être efficaces. Même d'espaces publics. Il doit y en avoir pour inciter à la réflexion et à l'échange. C'est pourquoi je préfère presque les boîtes à livres qui sont ouvertes à tous et qui se trouvent à l'extérieur, aux bibliothèques.

Elles animent l'espace public

Des cabines téléphoniques reconverties, dans lesquelles on ne passe plus d'appels depuis longtemps, remplies jusqu'au toit de pensées imprimées. Des sacs accrochés aux clôtures, proposant des livres de toutes sortes. Des armoires vitrées qui attirent les lecteurs. Ce sont non seulement de magnifiques touches de couleurs dans chaque quartier, mais aussi une véritable déclaration. Un beau contraste avec notre quotidien, où nous regardons le plus souvent des smartphones qui se ressemblent tous. Une bibliothèque a un effet coloré et personnel, elle apporte une atmosphère de salon dans l'espace public et rappelle le passé.

Vous devez vous arrêter et prendre le temps de chercher, sans savoir si vous trouverez quelque chose. Aucun algorithme ne peut vous aider. Mais cela éveille la curiosité, y compris chez les enfants. Je me souviens d'heures passées à lire en famille sur une pelouse ensoleillée de Munich, parce qu'il y avait une boîte à livres à côté du marchand de glaces. Dernièrement, en Autriche, une vitrine dans un paysage enneigé m'a invité à y jeter un œil et à y rester : « Hock di ufs Bänkle und lies a Kläle ! » (assieds-toi sur le banc et lis un peu !) Avec plaisir. Peut-être que j'aime les bibliothèques participatives parce que j'y associe les vacances et les loisirs. Mais certainement aussi parce qu'elles résolvent un autre problème.

Boîte à livres de la commune de Brand dans le Vorarlberg.
Boîte à livres de la commune de Brand dans le Vorarlberg.

Elles offrent aux vieux livres un toit digne de ce nom

Hors de question de jeter les livres dont on aimerait se débarrasser. Les vendre ne vaut guère la peine et je n'ai pas non plus le cœur de les laisser sur le trottoir pour que des inconnus les prennent. Ça me paraît presque aussi mal que d'abandonner un animal de compagnie. Que se passera-t-il s'il se met à pleuvoir ou si des adolescents les jettent dans les buissons les plus proches en leur donnant des coups de pied ? Et si personne ne les prend et que je dois les ramener à l'intérieur ? L'idée ne me plaît guère. Chez mon ancien employeur, on avait une étagère d'échange sur laquelle je pouvais déposer mes vieux livres en toute bonne conscience. Ils y ont retrouvé d'autres livres et peut-être ont-ils terminés entre les mains de nouveaux lecteurs, mais ils ne sont pas restés seuls sur le bord de la route. Les livres méritent un environnement digne. Et c'est ce qu'offrent toutes les boîtes à livre que l'on peut croiser en Suisse romande. Même les romans de poche les plus usés s'y intègrent pour former un ensemble intéressant. Vous revalorisez ce dont les gens ne veulent plus au lieu de le dévaloriser.

Un échantillon de la société (de lecture)

Chaque bibliothèque privée n'est qu'une bulle qui reflète la vision du monde et de son propriétaire. Ce que nous fréquentons, ce que nous recevons en cadeau et ce que l'on nous recommande dépend de qui ou de quoi nous aimons déjà. Dans la bibliothèque, les genres sont soigneusement séparés, les auteurs sont classés par ordre alphabétique, tout est systématique. Une boîte à livres fournit une diversité qui peut être à la fois irritante et inspirante. Pendant que Goethe et Bukowski se disputent dans la bibliothèque de mon collègue Oliver Fischer, j'aimerais bien savoir ce que Bibi Blocksberg et Leni Riefenstahl ont à se dire.

Des voisins inégaux : dans les bibliothèque participatives, des mondes s'affrontent.
Des voisins inégaux : dans les bibliothèque participatives, des mondes s'affrontent.

Dans les boîtes à livres, il y a de la place pour tout ceux qui sont en marge de la littérature. C'est là que règne la forme d'échange la plus honnête, non curatée et parfois provocante. Entre des histoires qui révèlent des visions du monde et des préférences différentes, ou qui proposent simplement un esprit du temps révolu, comprimé entre les couvertures d'un livre. Les Cerfs-volants de Kaboul attend les lecteurs à côté du Grand livre des énigmes et casse-têtes logiques et de Kaïken. J'attrape le livre à la couverture pourpre portant l'inscription Kino (Cinéma) et des images défilent immédiatement dans ma tête.

Les livres racontent des histoires sur leurs anciens propriétaires

De quel héritage, de quelle armoire rustique provient cette œuvre ? En tout cas, d'une époque où le cinéma était encore très populaire. Je commence à tourner les pages. Je lis comment la comédie est traitée avec un sérieux sacré et comment sa tradition remonte au théâtre mexicain de l'époque précolombienne. Et j'imagine un homme âgé avec des lunettes en corne et un pull-over qui, au milieu des années 80, se plonge dans la lecture après le travail, avant qu'elle ne devienne un inventaire de sa vie.

Film à l'affiche : il suffit de tourner les pages pour que vous commenciez à imaginer les scènes.
Film à l'affiche : il suffit de tourner les pages pour que vous commenciez à imaginer les scènes.

Maintenant, je le replace sur l'étagère et j'essaie de me souvenir de ma dernière sortie cinéma. Et quelle vie mène Karl, qui a dédicacé le prochain livre que je saisis. Il est dédié à un frère de « l'ordre des chevaliers des Saints Constantin et Hélène ». Certainement une vie complètement différente de celle du couple de la couverture de Pour apprendre à t’aimer, qui me transporte dans les années 70, juste avant que Les grandes histoires criminelles me replonge dans l’histoire de la criminalité. C'est finalement un autre livre que j'emprunte. Parce qu'il a trente ans et qu'il est d'une actualité troublante.

Les découvertes fortuites mènent à de nouveaux chemins de lecture

Que ce soit pour les podcasts, les séries ou les livres : nous nous sommes habitués à ce qu'on nous mette toujours la prochaine friandise sous le nez. Cela pourrait aussi vous plaire. Et nous nous faisons souvent avoir. Les vieux livres ont peu de chances d'être vus, entendus ou lus dans leur intégralité. Ils servent tout au plus de référence ou de note de bas de page. Mais dans cette bibliothèque du Vorarlberg, rien n'est promu ou placé en évidence, aucun livre n'est placé au-dessus des autres ou ne brille par des autocollants de best-seller. Au début, je pense que je ne trouverai rien. Mais au final, j'ai quand même pris un livre. Le livre que j'emporte est Sauver la planète Terre : l'Écologie et l'Esprit Humain d'Al Gore. Paru en 1992.

La couverture et le titre ne datent peut-être pas d'aujourd'hui, mais le contenu du livre est toujours d'actualité.
La couverture et le titre ne datent peut-être pas d'aujourd'hui, mais le contenu du livre est toujours d'actualité.

À l'époque, j'avais 11 ans, je ne connaissais pas encore le futur vice-président américain et défenseur du climat, et le monde était totalement différent de celui d'aujourd'hui. C'est exactement pour cela que ce livre me plaît tellement. Trente ans se sont écoulés depuis sa parution et je veux savoir comment il voyait le monde et l'avenir au début des années 90. Était-il trop dramatique ? Trop optimiste ? Plutôt clair, je dois dire. Pas seulement en ce qui concerne les chiffres et les faits relatifs au changement climatique d'origine humaine. Dans ce livre, aucun graphique ou chiffre n'a été mis à jour depuis trois décennies. Et tous sont pourtant actuels ; sauf que beaucoup de temps s'est écoulé depuis. Les images utilisées sont également appropriées : « L'homme n'est pas différent d'une grenouille de laboratoire qui saute immédiatement hors d'une casserole d'eau bouillante, mais qui reste assise à l'intérieur, tandis que l'eau chauffe progressivement. » 30 ans plus tard, nous en sommes toujours là. Autour de moi, la neige fond par 14 degrés à la mi-février. Et je continue à lire ce que nous savions déjà autrefois. Merci la boîte à livres !

Chaotique, chronologique, alphabétique ; par couleurs, par taille ; selon l'humeur ; géographique, autobiographique, thématique. Chacun a sa propre idée sur la façon de ranger une bibliothèque. Nous, rédacteurs et rédactrices de Galaxus, vous montrons nos bibliothèques. La prochaine sera celle de Pia Seidel.

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Écrivain amateur et père de deux enfants, j’aime être en mouvement et avancer en équilibre sur le chemin sinueux de la vie de famille. Je jongle avec plusieurs balles et il m’arrive parfois d’en faire tomber une. Il peut s’agir d’une balle, ou d’une remarque. Ou des deux. 


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