Le rouge est considéré comme menaçant et bouleversant. Pourtant, cette couleur a trouvé sa place dans la conception de nombreux stylismes suisses. La designer de produits et conservatrice Gabriela Chicherio m’explique ce qu’il en est.
Serait-ce parce que le rouge bouleverse les intérieurs ? Selon la psychologie des couleurs, c’est la plus stressante des couleurs...
Je pense qu’il y a une part de vérité lorsqu’il s’agit des hôpitaux ou des prisons. Là aussi, je serais prudente. Mais pourquoi un salon ou une salle de bains ne pourraient-ils pas être stimulants ? Il ne faut pas hésiter à peindre un mur en rouge et à choisir un meuble ou un accessoire rouge. On n’est jamais trop audacieux, mais seulement trop ennuyeux !
Cet article a été rédigé dans le cadre de notre semaine thématique sur le « rouge ». Sept jours, sept articles. Pour en savoir plus sur cet article et sur tous les autres publiés jusqu’à présent, cliquez ici :
Comme une pom-pom girl, je soutiens le bon design et vous fais découvrir tout ce qui a trait aux meubles et à l’aménagement intérieur. Régulièrement, je vous présente des astuces d’intérieur simples mais raffinées, je parle des tendances et j’interviewe des esprits créatifs sur leur travail.
La Zurichoise Gabriela Chicherio n’a jamais voulu miser sur une seule carte. C’est pourquoi, depuis la fin de ses études de design de produits à l’ECAL, elle s’intéresse à différents objectifs. Elle a conçu des meubles sous son propre nom, pour Beat Karrer ou des marques comme Ligne Roset, a été assistante en design industriel à la ZHdK et a fondé avec Andreas Saxer la Biennale du design. Bien qu’elle ait toujours porté de l’intérêt au design international, sa curiosité s’est accrue à chaque nouvelle étape pour faire connaître en premier lieu le design suisse. C’est ainsi qu’elle a eu l’idée de proposer des promenades à travers Zurich et d’expliquer ainsi le design helvétique dans l’espace public. Parallèlement, elle a lancé le podcast Design-Storyphone, pour faire découvrir aux personnes intéressées l’histoire de la création de produits quotidiens bien connus, tels que l’éplucheur Victorinox « Rex*, l’Aromat ou la punaise Omega. Le plus surprenant, c’est le nombre d’entreprises suisses jouant avec le rouge dans leurs créations depuis leur fondation. Elles semblent l’utiliser pour mettre en valeur la qualité de leurs créations. Et ce, bien que cette couleur soit souvent utilisée pour exprimer le danger, voire la colère.
Dans le cadre d’une semaine spéciale, notre équipe Lifestyle s’est penchée sur les multiples facettes de la couleur rouge. Sept articles, couvrant un large éventail de sujets autour de la couleur rouge, ont ainsi été rédigés. Celui-ci est l’un d’entre eux. Vous trouverez le lien vers les autres à la fin de cet article.
Pourquoi es-tu fascinée par des objets du quotidien ? Gabriela Chicherio, designer de produits : Je voudrais réfuter le soupçon selon lequel le design est un luxe, quelque chose d’élitiste. Car, consciemment ou inconsciemment, nous sommes constamment confrontés au design. Dans l’aménagement de notre appartement, dans le choix d’applications éducatives ou de jeux sur nos téléphones portables. Même le crayon Caran d’Ache, utilisé par les écoliers et écolières en Suisse, est un objet de design.
Gabriela Chicherio a un faible pour les objets du quotidien made in Switzerland. Source : Pia Seidel
Le fabricant genevois d’instruments d’écriture semble avoir célébré la couleur rouge dès le début avec son logo et ses produits. Pourquoi la marque est-elle devenue si célèbre ? Caran d’Ache a été et reste une entreprise particulièrement innovante. Elle a été la première à lancer un porte-mine métallique doté d’un mécanisme à pince en 1929 et le crayon de couleur aquarellable Prismalo en 1931. Ses pastels à la cire Neocolor ont été utilisés par Miro et Picasso, et ses crayons gris par la plupart des enfants en Suisse. En outre, l’entreprise s’engage à fabriquer une part toujours plus importante de ses crayons à partir de bois suisse certifié.
La fabrication du crayon gris Il est réalisé dans le canton de Genève à partir de graphite et de bois. La mine est d’abord créée à partir d’un mélange de poudre de graphite, d’argile et d’eau. Elle est ensuite comprimée en une fine tige, cuite et affinée avec de la cire pour une meilleure glisse. Pour les protéger, les mines sont collées dans deux demi-plaques de bois découpées avec précision. Les crayons sont ensuite séparés les uns des autres à l’aide d’une fraiseuse, ce qui permet d’obtenir la section hexagonale. Celle-ci empêche le crayon de rouler sur les surfaces non horizontales. Si Caran d’Ache alignait dans le sens de la longueur les crayons issus de sa production quotidienne, cela représenterait une distance de Genève à Rome, soit près de 700 kilomètres.
Pour fabriquer le crayon typique, il faut près de 50 heures de travail et 35 étapes de fabrication. Source : Christian Walker
L’entreprise traditionnelle PB Swiss Tools existe depuis 1878. Elle a également choisi le rouge pour les manches de ses tournevis. Qu’est-ce qui se cache derrière ? Le manche rouge est en acétobutyrate de cellulose (CAB). La matière plastique est obtenue par une réaction chimique de la cellulose avec un mélange d’acide acétique et d’acide butyrique, ce qui provoque une odeur désagréable. Pour y remédier et neutraliser cette odeur, PB Swiss Tools ajoute à ses manches un discret parfum de vanille. Je ne peux pas dire si le rouge est destiné à souligner la suissitude ou s’il s’agit simplement d’une bonne couleur contrastante.
Comment le tournevis est-il moulé ? Les manches sont moulés par injection standardisée, et le métal est constitué d’un alliage spécial très résistant à l’usure à base d’acier à ressort, fabriqué selon un procédé développé par PB Swiss Tool. Ce qui est particulier chez cette entreprise, c’est que le design est toujours une dérivation directe de l’ergonomie et de l’application, selon le principe « Form follows function » (la forme suit la fonction). Par conséquent, il n’y a pas d’éléments purement décoratifs.
Les outils de vissage de PB Swiss Tools sont considérés comme étant de très haute qualité, car ils sont adaptés aux vis correspondantes et permettent d’exercer plus facilement la pression de serrage adéquate. Source : Christian Walker
Quelles marques célèbrent également le rouge dans leur design ? Le rouge est l’élément principal des emballages des punaises Omega. Le couvercle rouge joue également un rôle de premier plan pour l’Aromat L’entreprise allemande Knorr s’est développée en Suisse dès 1907. Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’est concentrée exclusivement sur le marché et les saveurs suisses. L’Aromat a été lancé en 1953. Pour le faire connaître rapidement, Knorr a distribué 30 000 ménagères contenant notamment ce condiment à saupoudrer aux restaurants suisses. Le graphisme rouge, vert et jaune sautait aussi aux yeux dans les supermarchés. Le design de l’emballage est l’œuvre d’Armando Rutelli, un graphiste textile et publicitaire. Dans les années 1960, le graphiste tessinois Hans Tomamichel a ajouté le « Knorrli ». Ce lutin est devenu l’ambassadeur de la marque et une mascotte publicitaire pour tout l’assortiment suisse de Knorr.
Que ce soit chez Omega... Source : Christian Walker
... ou pour l’Aromat de Knorr, la suissitude est mise en jeu avec du rouge. Source : Christian Walker
En quoi l’emballage est-il différent ? Au début, la saupoudreuse en fer blanc avait une ouverture pour la remplir en bas. Les trous de saupoudrage faisaient partie de la boîte et étaient fermés par un couvercle supplémentaire. Aujourd’hui, l’emballage est optimisé pour la production. Tous les éléments fonctionnels sont réunis dans le couvercle en plastique, qui possède une articulation pour l’ouverture. Une pièce a ainsi pu être économisée.
Le rouge fait aussi partie de la vache Trauffer. Quelles astuces de marketing ou de design se réunissent en elle ? Cette vache en bois vient de l’Oberland bernois, connu pour le tourisme et la sculpture sur bois. Considérée comme un souvenir typique, elle est découpée dans des blocs de bois, sculptée et peinte. Ses oreilles sont découpées dans du cuir. De nombreuses étapes sont réalisées à la main. Les taches rouges sont un coup de génie à mes yeux. Elles rendent ce jouet vraiment différent des autres.
Elle ne passe pas inaperçue : les taches rouges distinguent cette vache des souvenirs traditionnels. Source : Christian Walker
La couleur de signalisation rouge est considérée comme tactiquement peu judicieuse et commercialement risquée dans la conception de produits, pourquoi ces objets ont-ils néanmoins acquis un statut culte ? Je ne dirais pas que le rouge est tactiquement imprudent. Le rouge est voyant, bruyant, caractéristique, éclatant et incarne également la suissitude. Si ces objets sont devenus cultes, c’est parce qu’ils sont bien conçus et fonctionnels. En outre, comme de nombreux produits dont nous avons parlé sont de petite taille ou rangés dans des placards la plupart du temps, leur couleur n’a pas d’importance pour de nombreuses personnes. En revanche, pour les accessoires d’intérieur et les meubles plus grands, beaucoup d’acheteurs craignent de se lasser rapidement du rouge et de regretter leur décision. Ils préfèrent donc choisir des couleurs neutres, « simples », parce qu’ils ne sont pas sûrs de leur goût.
Tu as déjà créé un objet rouge ? Pas explicitement quelque chose de rouge. Mais l’une des tables d’appoint que j’ai conçue était également disponible en rouge. Or, cette variante n’a pas rencontré beaucoup de succès. C’est pourquoi l’une d’entre elles se trouve aujourd’hui chez moi. Elle a été mieux accueillie en jaune citron clair ou en vert clair. Les couleurs qui ont le mieux marché sont bien sûr le blanc et l’anthracite.
