
En coulisse
Kryolan : "Nos maquillages sont probablement utilisés dans tous les films produits".
par Natalie Hemengül
La mission d’Ursina Schmid ? Habiller des gens. Nous avons parlé des côtés positifs de sa profession. Et elle m’a raconté ses déformations professionnelles.
Il n’a pas été facile de prendre rendez-vous avec Ursina Schmid. Cette costumière de 38 ans est très occupée à concevoir des vêtements pour des films et des séries. Que ce soit pour la série télévisée germanophone Tatort (2018, épisode Das Vermächtnis), Le Croque-mort (2013-2019) ou le film de la télévision suisse alémanique Jetzt erst rech (2019), Ursina Schmid a une théorie : quand son travail est bien fait, on ne le remarque pas. Je ne suis pas du tout d’accord. Dans la première et la deuxième saison de Tschugger, les costumes étaient tellement beaux que je les ai immédiatement repérés. Et j’ai aussi voulu savoir qui les avait créés. Spoiler : Ursina Schmid !
Son agenda est probablement aussi rempli qu’un entrepôt de costumes. Malgré cela, nous avons réussi à nous retrouver au café Lang, à Zurich. C’est autour d’une boisson chaude qu’elle m’a révélé des choses passionnantes sur son métier.
Ursina, comment es-tu devenue costumière ?
Ursina Schmid : Tous les chemins mènent à Rome ! La voie officielle consiste à étudier la création de costumes. Cette filière de formation n’existe pas encore en Suisse au niveau fédéral. Au départ, j’ai fait un apprentissage de couturière, puis une formation continue de costumière de théâtre. J’ai longtemps travaillé dans le milieu théâtral, d’abord comme assistance réalisatrice, et ensuite comme costumière. Un jour, je me suis retrouvée sur le tournage d’un film en tant qu’habilleuse. C’est ainsi que je suis devenue costumière pour le cinéma également.
Quelles sont les différences entre des costumes de théâtre et de cinéma ?
Au théâtre, tout se passe en direct. Sur scène, les vêtements donnent une tout autre impression. L’opulence et le volume sont de mise. Les costumes demandent beaucoup de temps pour être conçus et cousus. Mais dès le soir de la première, je n’ai plus à y toucher. Sur le tournage d’un film, c’est une autre histoire ! Comme les plans sont souvent rapprochés, chaque détail doit être parfait. Le temps de préparation est aussi long qu’au théâtre, mais je dois rester sur le set jusqu’au dernier jour du tournage. Cependant, c’est une habilleuse qui se charge de vêtir les comédiennes ou les comédiens.
Concrètement, c’est toi qui conçois tous les costumes pour un long métrage ou une série, et quand le tournage commence, c’est quelqu’un d’autre qui prend le relais ?
Exactement. Il n’y a pas d’autre moyen d’y arriver du point de vue de la logistique et de la charge de travail.
Quand tu acceptes un nouveau projet, comment t’y prends-tu ? On t’envoie un script et tu imagines les costumes sur cette base ?
Cela dépend vraiment de chaque projet. Je reçois souvent des demandes plusieurs années avant que le financement soit clair et que le tournage commence. En d’autres termes, les premières réunions ont même lieu avant que le script soit terminé.
Pouvoir travailler en équipe, c’est le grand plus de mon métier.
As-tu une idée claire pour chaque personnage principal dès le début du processus ?
La plupart du temps, oui. L’idéal, c’est quand je sais qui jouera le rôle, car c’est un aspect essentiel. J’aime bien pouvoir concevoir des vêtements en collaboration avec l’actrice ou l’acteur. Pouvoir travailler en équipe, c’est le grand plus de mon métier. Je trouve que les costumes ne doivent pas sauter aux yeux. Je n’ai pas envie qu’on se demande pourquoi un acteur porte un pantalon aussi bizarre !
Intéressant, car c’est justement la raison pour laquelle je t’ai découverte. J’ai trouvé les costumes de la série Tschugger vraiment réussis.
Merci du compliment ! Tschugger a été un cas particulier. Même les uniformes de police étaient fictifs. Je les ai créés moi-même.
Où trouves-tu les vêtements qui ne sont pas cousus sur mesure ?
C’est une question de budget. C’est généralement un mélange entre des pièces trouvées dans nos entrepôts et des habits achetés. Quand on a besoin du même vêtement en plusieurs exemplaires, la meilleure solution est de les acheter en prêt-à-porter. Depuis le temps, j’ai aussi accumulé un stock impressionnant de vêtements.
Dans ton temps libre, aimes-tu faire du shopping pour toi ? Je me demande comment une costumière envisage son propre look. As-tu une idée précise que tu essaies de suivre ?
Dans mon temps libre, il ne me viendrait pas à l’esprit d’aller faire les magasins. Ma garde-robe se compose principalement de pièces de seconde main. Il m’arrive parfois de voir un habit qui me plaît et de l’acheter. La qualité de la coupe et des tissus sont essentiels pour moi. Ça doit être une déformation professionnelle !
La mode et ses sous-cultures me fascinent.
J’imagine que la mode proprement dite t’intéresse quand même ? Si ce n’était pas le cas, tu n’aurais pas autant de succès professionnel.
Bien sûr ! La mode est ses sous-cultures me fascinent. Dans mon métier, je dois suivre les tendances. Quand je voyage à l’étranger, j’aime bien observer ce que les gens portent.
Travailles-tu aussi dans des pays autres que la Suisse ?
Oui. Par exemple, j’ai été récemment engagée sur le tournage d’une co-production en Lettonie. Pour la préparation, je me suis souvent déplacée sur place au début. Ensuite, j’ai pu travailler depuis la Suisse. Cela s’est bien passé, car j’avais une assistante en Lettonie. La série Tschugger a été complètement tournée en Valais. Logistiquement parlant, ça a ressemblé à un tournage à l’étranger.
Qu’apprécies-tu dans ton travail ?
Premièrement, qu’il soit vraiment varié. Deuxièmement, que je sois constamment en déplacement, ce qui me permet de découvrir de nouveaux endroits. Troisièmement, que je rencontre souvent des gens sympas. Et enfin que j’en apprenne tous les jours en faisant mon métier.
Tes journées de travail sont probablement très différentes les unes des autres.
C’est vrai, mais certaines phases sont similaires. Par exemple, au début d’un projet, il y a toujours beaucoup de séances. Ensuite, je travaille souvent seule, je fais des recherches, je conçois des costumes. Pendant cette phase, j’arrive facilement à structurer mes journées. Je commence généralement de 9 à 19 heures. Pendant les tournages, c’est une autre histoire. Je dois parfois me lever à 4 heures du matin ! D’autres jours, je me consacre à des préparations et à des essayages. Ces horaires irréguliers sont difficiles à gérer avec des enfants. Mais j’apprécie les changements de rythme.
Quelle a été la plus longe période pendant laquelle tu as été impliquée dans un projet ?
Les séries sont très exigeantes. On tourne beaucoup plus de minutes par jour pour une série que pour un long métrage. Pour certains projets, je travaille beaucoup en amont et, une fois que le tournage commence, tout va très vite. C’est certainement pour la série Le Croque-mort que j’ai travaillé le plus longtemps. Nous tournions pendant six mois d’affilée pendant l’été. Même si je n’ai pas travaillé sur les sept saisons, la collaboration a duré sept ans en tout.
Qu’est-ce que tu préfères ? Les séries qui te permettent de travailler durant une longue période avec les mêmes personnages ? Ou plutôt les projets de courte durée ?
C’est une bonne question. En ce moment, on m’a engagée pour une série. J’ai donc envie de refaire du cinéma (rires). Sur le tournage d’un film, on tourne moins d’heures par jour. C’est donc moins prenant. Au contraire, pour les séries, on a souvent des pressions budgétaires. Toutes les personnes impliquées doivent énormément bosser. Dans cette constellation, je regrette de ne pas avoir le temps de mieux me préparer pour obtenir un résultat parfait.
Parfois, je me dis « J’aurais dû faire autrement. »
Regardes-tu les séries et les films et les séries sur lesquels tu as travaillé ?
Bien sûr ! Parfois, je me dis « J’aurais dû faire autrement… » ou « Pourquoi est-ce que je n’ai pas… ». Heureusement que je m’exclame aussi souvent « Super, vraiment cool ! ». Quel que soit mon degré d’enthousiasme, c’est toujours fascinant de voir le résultat monté, avec l’étalonnage des couleurs et la musique.
Quand tu regardes des séries ou des films pour lesquels tu n’as pas travaillé comme costumière, est-ce que tu te focalises aussi sur les costumes ?
Absolument. Je dois même me faire violence et me concentrer sur l’histoire au lieu de contempler les costumes. Mais quand un film est vraiment passionnant, j’en oublie même les vêtements des personnages !
Une sorte de déformation professionnelle, en quelque sorte ! Que fais-tu des costumes après les tournages ?
Certains rejoignent notre entrepôt, d’autres sont offerts. Les vêtements achetés appartiennent généralement à la production. Ils sont donc entreposés en vue d’un nouveau tournage. Parfois, les actrices et les acteurs souhaitent garder un habit en guise de souvenir. Il arrive aussi que des costumes soient vendus aux membres de l’équipe. Un jour, une dame faisait la queue devant moi à la Coop. Elle portait une veste que j’avais cousue pour un épisode de Tatort. C’était une excellente surprise !
Quand je l’ai interviewée, Ursina Schmid travaillait pour la série de la télévision suisse alémanique « Mindblow », qui sera diffusée au printemps 2024. Le film Jakobs Ross sortira sur les grands écrans helvétiques le 18 janvier 2024.
Photo d’en-tête : SRF/Dominic SteinmannToujours prête pour de la bonne musique, des voyages mémorables et pour boire.