
En coulisse
Les bases du jardinage avec les enfants
par Ann-Kathrin Schäfer
Julia Moser, créatrice de mode et textile, m'explique au détour d'un échange comment la teinture de vêtements à l'aide d'organismes vivants fonctionne et à quoi la teinture bactérienne durable future ressemblera.
Julia Moser est la preuve vivante que la conscience écologique, l'amour de la nature et les normes de conception élevées sont compatibles. Très tôt, elle porte un regard critique sur le secteur de la mode, et pas seulement sur la question du choix des matériaux. C'est par hasard que cette designer autrichienne tombe sur la teinture bactérienne des textiles – une méthode durable qui n'a fait l'objet que de peu de recherches – et décide de se spécialiser dans l'innovation matérielle et le biodesign, un courant conceptuel du design industriel visant à s'inspirer des solutions techniques qu'offre la nature et ce, afin de répondre à des problèmes de conception d'objets industriels.
Dans le cadre de son projet de recherche actuel intitulé « Wachsende Farben. Lebendige Pigmente » (Des couleurs grandissantes. Des pigments vivants), elle s'intéresse à la teinture bactérienne des textiles ; à cet effet, elle recherche des méthodes de teinture de remplacement avec des organismes vivants et ce, en interaction avec les technologies à la fois traditionnelles et nouvelles. Quelles sont-elles et peuvent-elles être utilisées à l'avenir pour la teinture à grande échelle ? Je me suis pour cela adressée à Julia Moser.
Vous avez étudié la mode et le design textile. À quand remonte votre passion pour la mode ?
Julia Moser : quand j'étais gamine, je me changeais plusieurs fois dans la journée, ce qui avait le don de rendre ma mère complètement dingue. Et puis j'ai commencé à coudre et à apporter des modifications à mes habits. Une fois, je me souviens avoir fabriqué des sandales en carton et en tissu avec un système d'attache.
Plus tard, à l'école d'art, j'ai pu me familiariser avec un tas de domaines d'activité et travailler différents matériaux. Attirée par les textiles, j'ai décidé de me lancer dans des études de « textil.kunst.design » (textile, art et design) à l'université des Arts de Linz où j'ai obtenu un bachelor et un master. Je suis actuellement sur le point d'obtenir un deuxième master qui s'intitule « Fashion & Technology ». Dans le cadre de mon projet de recherche, je travaille sur la teinture bactérienne des textiles.
Comment vous êtes-vous lancée dans la teinture bactérienne ?
Il y a quelques années de cela, j'ai lu un article sur le site « Pili », une entreprise française qui fabrique des colorants textiles bactériens à l'aide de la biologie synthétique. J'étais tellement fascinée que j'ai étudié le sujet de façon intensive. Grâce au « Vienna Textile Lab », j'ai désormais la chance de recourir à une telle méthode moi-même. Pour cela, j'ai appris les bases de la teinture bactérienne des textiles dans un atelier il y a environ un an et demi. Depuis lors, je travaille, fais des recherches, apprends et explore les possibilités de cette teinture en m'aventurant dans certains domaines inconnus des sciences naturelles.
Autrement dit, vous êtes une autodidacte. Comment avez-vous acquis les connaissances biochimiques nécessaires sans aucune base dans le domaine ?
Par tâtonnement. J'ai non seulement lu des ouvrages sur le sujet pour me familiariser avec la biochimie, mais j'ai également beaucoup appris grâce aux travaux pratiques sur les bactéries en laboratoire et aux échanges avec des microbiologistes et des chimistes. Au fil du temps, j'ai développé ma propre compréhension des bactéries : je reconnais maintenant de fortes différences entre les souches bactériennes et les particularités de chacune de ces dernières.
**Pour moi, toutes ces notions sont abstraites : comment utilise-t-on les bactéries pour la teinture de tissu ?
Il existe plusieurs moyens d'y parvenir, soit en extrayant les pigments – c'est-à-dire les bactéries cultivées – grâce à la fermentation et un processus de teinture ultérieur, soit en utilisant des bactéries vivantes qui recouvrent directement les tissus en les colorant.
Dans les deux cas, des conditions de laboratoire ou un environnement stérile sont nécessaires à la prolifération des bactéries et à l'évitement de toute contamination étrangère. Les bactéries ont besoin de nutriments divers, car chaque souche est différente. Pour éviter une énième prolifération inopportune, il convient de tuer les bactéries à la chaleur après chaque processus de teinture. Selon la souche, la durée du processus de teinture des organismes vivants est d'environ quatre jours.
Quels sont les avantages et les inconvénients de la teinture par bactérie ?
Elle est durable. Les bactéries se multipliant pratiquement toutes seules en très peu de temps grâce à des milieux nutritifs fournis, l'extraction des pigments se veut plus économe en ressources que les colorants végétaux : nul besoin de terre, d'eau ou encore de pesticides. De plus, cette méthode de teinture n'épuise pas les sols et s'affranchit de toute machine gourmande en énergie fossile. Par dessus le marché, les bactéries se développent beaucoup plus rapidement que les plantes.
Leur utilisation à l'état vivant pour la teinture des tissus ne nécessite pratiquement pas d'eau non plus. En comparaison avec les colorants chimiques, l'extraction des pigments à partir de bactéries ne requiert aucun produit chimique nocif. Les teintures chimiques sont nocives pour les travailleurs, les porteurs du vêtement et l'environnement, car elles contaminent les nappes phréatiques à long terme.
Depuis leur invention au XIXe siècle, les colorants synthétiques présentent de nombreux avantages, que ce soit en matière de coût, de brillance des couleurs, de spectre de couleurs ou encore de durabilité. Mais il est urgent de trouver des solutions de remplacement. D'un point de vue pécuniaire, les pigments bactériens pourraient certainement faire jeu égal avec les colorants synthétiques, même si, à l'heure actuelle, ce n'est pas encore le cas à petite échelle, c'est-à-dire non industrielle.
Toutefois, leur perniciosité réside dans leur absence de résistance à la lumière et dans l'insuffisance du spectre chromatique. À cela s'ajoute la faible reproductibilité des organismes vivants, un défaut pouvant néanmoins s'avérer avantageux lorsqu'il s'agit de réaliser une pièce unique.
La teinture uniforme des tissus n'est de ce fait toujours pas possible, non ?
Si, les pigments bactériens permettent une coloration uniforme. Il en va de même pour les organismes vivants, même si l'on perçoit une certaine vivacité et irrégularité sur le textile. C'est un aspect que j’apprécie beaucoup.
Et qu'en est-il des motifs contrôlés
En proliférant, les bactéries créent leur propre type de motifs. Dans mon travail, je me concentre sur les possibilités de motifs contrôlés. Pour cela, je combine la coloration bactérienne à différentes technologies traditionnelles et nouvelles. De cette façon, la technique devrait devenir esthétiquement compétitive par rapport aux autres procédés de teinture et d'impression. J'explore un large éventail de techniques allant de l'UV à l'impression 3D ou à l'estampage. J'ai mis au point mes propres méthodes afin d'obtenir de bons résultats.
Cette méthode de teinture pourrait-elle un jour convenir à plus grande échelle ?
À l'avenir, je pense que les pigments bactériens seront disponibles sur le marché à plus grande échelle. À mon avis, il est plutôt improbable que les organismes vivants soient utilisés industriellement : d'une part, il existe plus de « risques » pour le client, un résultat final 100 % satisfaisant pouvant difficilement être promis ; d'autre part, les premières tendances montrent déjà que les développements vont principalement dans le sens de l'extraction de pigments. Parmi les raisons, on citera son utilisation dans de nombreux domaines, comme la presse écrite. Mais personne ne sait où la teinture bactérienne des textiles nous mènera et ce que la recherche apportera.
Cette méthode convient-elle à tous les types de tissus ?
Tout dépend de la souche de la bactérie et du pigment. Avec la violacéine, produite par certaines souches, on peut employer le même procédé de teinture pour les fibres naturelles, animales et synthétiques. De manière générale, nombreux sont les pigments bactériens à s'adapter aux différentes fibres sans décapage ni gravure. C'est une particularité des colorants, surtout quand on considère que les fibres artificielles en particulier nécessitent des produits chimiques pour obtenir l'adhérence des couleurs.
Qu'en est-il de la polychromie ?
Je travaille actuellement sur ce sujet avec le professeur Sabine Hild de l'université Johannes Kepler. Nous collaborons avec différents partenaires pour mettre en œuvre ce projet de financement, que nous présenterons à l'« ARS Electronica Festival » en septembre. Ensemble, nous souhaitons rendre la polychromie possible à l'avenir grâce à des formes ciblées utilisant des pigments bactériens.
Quand je ne suis pas en train d'explorer les océans, je plonge avec bonheur dans l'univers de la mode. Toujours à l’affût des dernières tendances dans les rues de Paris, Milan et New York, je vous montrerai comment arborer ces habits de podium dans la vie de tous les jours.