
En coulisse
Ah, les frères et sœurs...
par Martin Rupf
Les parents veulent à tout prix éviter de privilégier l’un ou l’autre enfant, pourtant, les frères et sœurs se plaignent souvent d’injustices. Traiter les enfants de la même manière n’est pas non plus la solution.
C’est un titre qui m’a d’abord interpelé, puis fait réfléchir : « Les parents ont un enfant préféré. » Cette phrase est apparue plusieurs fois dans mon fil d’actualité. Il ne m’a pas fallu longtemps avant de cliquer dessus. Cet article (en allemand) a d’ailleurs fait les gros titres. Et je dois dire qu’il est bon. Car ce clic a immédiatement réveillé le passé : ai-je été favorisé ou désavantagé ? Il a également remis mon rôle de père en question : suis-je moi-même injuste envers mes enfants ? Qu’est-ce qui se cache derrière cela ?
Selon l’enquête, les aînés, les enfants consciencieux et les filles en général seraient privilégiés. J’étais sur le point de rejeter ces affirmations, mais en tant que petit frère d’une sœur consciencieuse, qui a des enfants avec cette même configuration, le message m’a fait réfléchir. La source était sérieuse et, petit à petit, a intéressé de plus en plus de médias. Derrière cette affirmation, pas de sondage TikTok ni de momfluenceuse sur Instagram, mais une méta-analyse dont les résultats ont été publiés dans le prestigieux Psychological Bulletin. La vérité scientifique après la participation de plus de 19 000 personnes à diverses études et l’analyse de leur situation familiale. N’hésitez pas à y jeter un coup d’œil, cela en vaut le détour.
Dans les gros titres, tout semble toujours catégorique. C’est ainsi, et pas autrement. Là, un avantage. Ici, un inconvénient. Il faut toujours crier au scandale. Dans la réalité, tout est question de nuances. De petites différences d’approche qui s’additionnent. De décisions que les parents prennent souvent inconsciemment et à l’avantage de l’un ou de l’autre, sans arrière-pensée malveillante, et sans que cela soit nécessairement perçu comme injuste par les enfants. Ainsi, les parents ont le sentiment de privilégier quelque peu leurs filles et d’être plus proches d’elles sur le plan émotionnel, alors que les enfants se sentent généralement traités de la même manière. Les parents se remettent en question, les enfants sont contents, c’est plutôt une bonne nouvelle.
La mauvaise, c’est que tout le monde ne se remet probablement pas constamment en question, surtout en dehors du cadre d’une étude. Dans chaque famille, des schémas s’insinuent et sont perçus comme normaux. Chaque membre du clan à un rôle à jouer et doit, tel un acteur ou telle une actrice, veiller à ne pas être catalogué trop tôt et pour toujours. Les rôles s’influencent mutuellement, ils peuvent soit donner des ailes soit paralyser.
Les parents ne devraient pas dire à leurs enfants ce qu’ils sont ou comment ils sont, mais leur montrer tout ce qu’ils peuvent être. Les enfants ont besoin d’avoir confiance en eux. Cela implique bien sûr aussi de tester les limites de temps en temps, ce qui peut être épuisant pour les parents. Une tendance malsaine se dégage toutefois clairement de l’étude : les caractères fiables et faciles sont récompensés par davantage d’affection. Est-ce juste ? Non.
Mais cela ne me surprend pas. C’est un piège dans lequel je tombe, dans lequel nous tombons toutes et tous de temps en temps. Car nous, parents, voulons que le quotidien se déroule sans embûche. Les enfants qui n’entrent pas dans le moule posent rapidement problème. Plus les parents s’agitent, plus les conflits risquent d’éclater et plus l’attention accordée aux enfants devient déséquilibrée. Ta chambre est rangée ? Tes devoirs sont faits ? T’as eu une bonne note à l’école ? Bien sûr, quand c’est le cas, les éloges pleuvent. Nous sommes heureux quand tout se passe comme prévu, nous sommes fiers et nous nous chargeons de bons sentiments, peut-être au détriment d’un enfant qui nous donne du fil à retordre.
Inconsciemment, chaque éloge augmente la pression sur les frères et sœurs qui fonctionnent un peu différemment. Qui procrastinent et dessinent des ronds sur leur feuille au lieu de se plonger enfin dans leurs devoirs. Qui ont besoin de se défouler ou de s’exprimer autrement avant de réussir à se concentrer. Qui ont du mal avec un emploi du temps aussi chargé.
Leur sac à dos mental s’alourdit lorsqu’ils ramènent à la maison, après une longue journée d’école, le sentiment d’avoir raté quelque chose ou de ne pas avoir coché une case sur leur liste de choses à faire. Cela a des conséquences. Selon l’étude, s’ils sont régulièrement en conflit avec leurs parents, ils sont moins bien lotis plus tard dans la vie, tant sur le plan scolaire que psychique. Le problème, c’est qu’on attend la même chose de tout le monde, alors que les enfants ne sont pas tous pareils.
Dans de nombreuses situations, plutôt que d’insister, il serait plus utile de comprendre que l’enfant n’est pas réceptif à ce moment-là. Que le problème doit être résolu différemment, même si cela doit compromettre le programme de la journée. Celui qui se sent compris est soulagé et a moins de difficultés. Celles et ceux qui ont le droit d’être différents n’explosent pas aussi vite. La plupart du temps, il est utile de rester calme, de changer de perspective et de parler, ensemble, les uns avec les autres et sans crier.
La comparaison croisée est évidente, mais dangereuse : « Prends exemple sur... » est une phrase qui sort facilement, mais qui ne devrait pas être prononcée, parce qu’elle peut causer beaucoup de dégâts. De toute façon, les enfants se comparent constamment à l’école, au sport et à la maison avec des frères et sœurs. Cette comparaison est d’autant plus difficile si l’on fait l’impasse sur la différence d’âge et est particulièrement douloureuse lorsque cette dernière est mentionnée. Des phrases comme « ton frère savait déjà faire ça à ton âge... » sont de véritables gifles verbales. Les enfants n’ont pas tous le même rythme. Les comparer n’est donc pas juste.
Bien sûr, les frères et sœurs sont en concurrence. Et ils ont chacun leurs petits atouts. Les petits derniers savent jouer de leurs glandes lacrymales et compter sur l’indulgence. Les plus âgés profitent de leur supériorité et sont à leur tour frustrés lorsque les petits se voient attribuer très tôt tout ce qu’ils ont mis des lustres à obtenir, comme les sucreries, les temps d’écran ou encore l’argent de poche. Cela peut paraître injuste aux yeux des grands, et c’est parfois le cas. Mais la situation n’est pas la même et, en réalité, ce sont les plus petits qui sont désavantagés, même s’ils semblent favorisés.
Toutefois, selon les scientifiques, l’avantage tourne à un moment donné. C’est le cas lorsque les aînés bénéficient d’une plus grande liberté : ils profitent et se développent mieux lorsqu’ils peuvent se déplacer de manière plus autonome pendant leur enfance et leur adolescence, tandis que les parents se concentrent sur les cadets.
C’est la vérité statistique qui se traduit par des tendances. On peut surtout en tirer la résolution de remettre constamment en question son propre comportement. L’éducation n’est heureusement pas une science, mais un mélange d’amour, d’intuition et de convictions.
Je trouve que c’est un défi d’avoir une vue d’ensemble et de classer de manière appropriée les grands ou petits moments de la vie. Est-il juste d’appliquer les mêmes critères, même si une tâche ne coûte à un enfant qu’un sourire las et à un autre un effort considérable ? C’est à peu près aussi juste que de placer la barre de saut en hauteur à la même hauteur pour tout le monde. Tout l’art consiste à faire en sorte que chacun et chacune se sente vue et appréciée, sollicitée et encouragée.
Pour cela, passer du temps à deux est essentiel. Parler, expliquer et, de temps en temps, s’excuser : je sais qu’ici je ne vous traite pas de la même manière, je suis désolé. Mais voilà la raison et j’essaie d’être juste. Tu as d’autres avantages. C’est la seule façon de faire croître la compréhension mutuelle et de reconnaître que nous avons tous des besoins différents. En fin de compte, une seule chose doit être vraiment égale : le respect des autres et des opinions. Une fois que les enfants l’auront assimilé, le reste viendra tout seul.
Écrivain amateur et père de deux enfants, j’aime être en mouvement et avancer en équilibre sur le chemin sinueux de la vie de famille. Je jongle avec plusieurs balles et il m’arrive parfois d’en faire tomber une. Il peut s’agir d’une balle, ou d’une remarque. Ou des deux.