Le dernier voyage du téléphone portable (1er épisode) : comment les matières recyclables sont récupérées
En coulisse

Le dernier voyage du téléphone portable (1er épisode) : comment les matières recyclables sont récupérées

Or, argent, cuivre : les vieux téléphones portables contiennent de nombreux matériaux recyclables qu’il convient de récupérer. Les batteries au lithium représentent un défi particulier en matière de recyclage. Elles peuvent prendre feu, voire exploser si elles sont endommagées.

Nous sommes dans les locaux de Solenthaler Recycling AG (Sorec) à Gossau SG, l’une des quelque 20 entreprises de recyclage suisses qui recyclent les équipements électriques et électroniques usagés. Je suis venue voir ce qu’il advient des téléphones portables et autres appareils usagés une fois que nous les avons déposés dans un magasin ou un point de collecte.

Sur la plaque chauffante d’un établi sécurisé, sept smartphones sont prêts à être ouverts. Jean-Pierre en saisit un, guide la partie inférieure de l’appareil vers une broche métallique fixée au plan de travail, puis donne plusieurs coups de marteau. Il insère un tournevis dans la fente ainsi créée dans le boîtier. Quelques gestes lui suffisent pour exposer l’intérieur du smartphone. La batterie au lithium est normalement collée, mais grâce à la plaque chauffante, la colle a fondu. Jean-Pierre peut maintenant retirer la batterie sans l’endommager. « Une batterie peut chauffer rien que si on la plie, dit-il. Parfois, elle commence à brûler ou elle explose si on l’endommage. » Jean-Pierre porte donc des gants lorsqu’il travaille, il est protégé par une vitre de sécurité et une hotte d’aspiration qui aspire les gaz chauds et corrosifs en cas d’explosion. Un extincteur est toujours à portée de main.

La montagne de vieux équipements ne cesse de grandir

Les vieux appareils qui arrivent à Gossau ne représentent qu’une infime partie de l’énorme quantité d’appareils mis au rebut. En 2019, un volume effroyable de 53,6 millions de tonnes de matériel obsolète a été généré dans le monde entier. C’est ce que montre le rapport « The Global E-Waste Monitor 2020 » publié en juillet de cette année par l’Université des Nations Unies, l’Union internationale des télécommunications UIT et d’autres institutions.

Cela représente 7,3 kilogrammes par être humain. Seuls 17,4 % de ces déchets sont manifestement recyclés, mais personne ne sait exactement ce qu’il advient des 82,6 % restants. Si rien ne change, le problème s’aggravera encore : selon le rapport, la consommation mondiale d’équipements n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Si la tendance se poursuit, d’ici 2030, nous jetterons 74 millions de tonnes de vieux appareils par an dans le monde, soit environ 7400 fois le poids de la tour Eiffel.

Les équipements électriques et électroniques (EEE) sont devenus un élément essentiel de la vie quotidienne. Grâce à eux, une grande partie de la population mondiale bénéficie d’une meilleure qualité de vie. Mais la façon dont nous produisons, consommons et éliminons les déchets électroniques n’est pas durable.
Préambule du Global E-waste Monitor 2020

Il s’agit de vieux appareils contenant des polluants tels que le mercure ou les PCB, ou des gaz à effet de serre qui contribuent plus de 1000 fois plus à l’effet de serre mondial que le CO2. Les vieux appareils contiennent des matériaux recyclables qui peuvent remplacer les matières premières primaires s’ils sont récupérés. Le rapport estime la valeur de l’or, du cuivre, du fer et d’autres matières premières dans les déchets électroniques de 2019 à 57 milliards de dollars américains. Pour moi, ce sont autant de raisons d’approfondir la question.

Suisse : 15 kilos de vieux appareils par personne et par an

J’ai trouvé des données détaillées concernant la Suisse dans le Rapport technique de 2020 des trois systèmes de reprise SENS, Swico et SLRS. Selon cette étude, 95 % des vieux équipements électriques et électroniques en Suisse sont remis aux points de collecte et dans le commerce spécialisé et traités par des entreprises de recyclage. L’année dernière, 127 000 tonnes d’appareils ont été mis au rebut, soit environ 15 kilogrammes par habitant. Sur ces 127 000 tonnes, on compte 35 800 tonnes de gros appareils électriques tels que des fours et des machines à laver, 19 900 tonnes de réfrigérateurs, de congélateurs et de climatiseurs, 28 700 tonnes de petits appareils électriques et 41 000 tonnes d’équipements électroniques. Dans cette dernière catégorie, on relève notamment 5176 tonnes d’imprimantes, 1233 tonnes d’ordinateurs portables, 4649 tonnes de moniteurs et 124 tonnes de téléphones portables. Ces derniers ont augmenté de 6 % par rapport à 2016, sachant que l’augmentation aurait été plus importante si le poids moyen des téléphones portables n’avait pas diminué dans le même temps.

Les batteries au lithium sont de plus en plus présentes dans les appareils

Qu’advient-il de tous ces appareils ? Quels autres matériaux recyclables contiennent-ils ? Comment traite-t-on les polluants ? La visite de l’usine de recyclage Sorec à Gossau devrait me donner au moins quelques réponses. Un après-midi de septembre, j’ai donc visité l’usine de recyclage elle-même, le point de collecte voisin et l’usine de démontage Dock St.Gallen, où les vieux appareils sont désassemblés manuellement après la collecte avant d’être broyés mécaniquement dans l’usine de Sorec. J’ai aussi vu de près l’établi sécurisé où Jean-Pierre démonte les équipements potentiellement dangereux, c’est-à-dire les appareils comme les smartphones, les tablettes ou les liseuses, dont la batterie au lithium collée à l’intérieur ne peut être délogée que par la force.

Environ deux tonnes de ces appareils sont démontées ici chaque année, explique Markus Stengele, ingénieur en environnement et responsable qualité et environnement chez Sorec, qui me fait visiter le site. Il travaille dans le recyclage des déchets électroniques depuis plus de 20 ans. D’après lui, en deux décennies, la proportion de vieux équipements contenant des batteries au lithium rechargeables ou non a massivement augmenté. « Il n’y a probablement pas un seul recycleur de déchets électroniques qui n’ait jamais eu de feu à cause d’une batterie au lithium, dit-il. Cela devient dangereux si les batteries sont endommagées, si elles chauffent trop ou s’il y a un court-circuit. Dans ce cas, elles peuvent s’enflammer instantanément. » Le point d’éclair des solvants qu’elle contient est similaire à celui de l’alcool dénaturé, et une batterie au lithium contient environ dix fois plus d’énergie électrique stockée sous forme d’énergie thermique, explique M. Stengele.

Les batteries doivent être stockées dans des fûts spéciaux

C’est pourquoi les batteries que Jean-Pierre retire des appareils finissent dans un fût en acier certifié ONU. Il m’arrive à la taille et il est déjà rempli aux trois quarts de batteries et de quelque chose de doré qui ressemble à de la litière pour chats. « C’est de la vermiculite », explique M. Stengele, qui saisit quelques grains dorés pour montrer à quel point ils se déforment facilement entre le pouce et l’index. « C’est souple et léger comme du polystyrène. Elle isole, protège des chocs, retient les liquides qui s’échappent. Et si une batterie s’enflamme, le matériau fond plus ou moins autour d’elle. Elle a aussi l’avantage de ne pas se dissocier pendant le transport. »

Il explique que des expériences ont également été menées avec des billes de verre mousse comme matériau de remplissage. « Elles ont également un bon effet isolant. Mais le problème est qu’après le transport, toutes les batteries sont au fond et les billes de verre à la surface. » L’intérieur du fût est revêtu d’un film plastique pour empêcher le contact direct entre l’acier et les batteries et donc les courts-circuits ainsi occasionnés. Une valve de ventilation dans le couvercle permet au gaz produit de s’échapper en cas d’incendie. « Nous pouvons donc stocker et transporter même les puissantes batteries des vélos électriques sans avoir à craindre que l’ensemble ne s’enflamme. »

Récupérer le précieux cobalt

Les batteries sont transportées dans ces fûts en acier et livrées à Batrec Industrie AG à Wimmis dans le canton de Berne, où, comme me l’explique M. Stengele, elles sont broyées dans une atmosphère protectrice et traitées de manière à ce qu’elles ne puissent plus causer d’incendie. Les composants sont ensuite envoyés à l’étranger dans une usine où l’on récupère le cobalt en particulier ; le lithium est perdu lors de ce processus. « Le cobalt est un de ces métaux sales », explique M. Stengele. Il est souvent extrait dans des conditions très douteuses, par exemple en République démocratique du Congo, où les enfants et les adultes risquent leur vie pour le transporter dans des sacs de jute dans des tunnels creusés par leurs soins. C’est aussi une substance relativement toxique. Ce métal est pourtant actuellement très utilisé pour les batteries à haute performance, et avec la mobilité électrique croissante, il deviendra probablement encore plus important à l’avenir. Les batteries au lithium peuvent certes être produites sans cobalt, mais la densité de puissance est alors plus faible. Les batteries des téléphones portables, des tablettes et des ordinateurs portables d’aujourd’hui contiennent généralement du cobalt. « Le cobalt est précieux, nous devrions donc en récupérer le plus possible. »

L’or, le platine, le cuivre et d’autres métaux précieux sur les circuits imprimés des ordinateurs, des tablettes et des téléphones portables ont aussi de la valeur. « Les vieux téléphones portables en contiennent bien plus que les smartphones », explique M. Stengele. « Sur les circuits imprimés montés il y a 30 ans, on peut voir l’or appliqué au pinceau, pour ainsi dire. Aujourd’hui, on ne trouve plus qu’un soupçon d’or sur les contacts. » Les composants des smartphones modernes sont toutefois loin d’être sans valeur. Dans la mesure du possible, Jean-Pierre retire les écrans et les composants en plastique ainsi que les couvercles ou les boîtiers en métal. Les premiers finissent dans l’incinérateur, les seconds dans l’installation de tri de l’entreprise. Le reste est envoyé en Belgique à la fonderie Umicore, l’une des trois fonderies européennes spécialisées dans la récupération des métaux précieux des circuits imprimés et autres composants électroniques.

Les vieux téléphones portables produisent plus d’or à la tonne que le minerai extrait des mines d’or

Selon Heinz Böni, qui dirige le groupe de recherche sur les matériaux critiques et l’efficacité des ressources au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa), une vingtaine de métaux différents peuvent désormais être récupérés dans ces fonderies grâce à des procédés en plusieurs étapes. « Un seul téléphone portable contient peu de métal, mais une tonne de vieux téléphones portables contient environ dix fois plus d’or que le minerai extrait d’une mine d’or. D’autres métaux se trouvent également en concentration plus importante dans les vieux téléphones portables que dans le minerai provenant de l’extraction primaire. »

Selon Judith Bellaiche, directrice générale de l’association professionnelle Swico, qui organise la reprise et le recyclage des équipements informatiques, électroniques grand public, de bureau et de télécommunications, 150 kilos d’or en moyenne sont récupérés chaque année sur les téléphones portables et autres équipements électroniques mis au rebut : « Cela ne semble pas beaucoup, mais quand on sait à quel point l’extraction de l’or est nocive pour l’environnement, cela fait une grande différence. Au cours des dix dernières années, nous avons pu économiser un total de 38 millions de tonnes de CO2 en récupérant les matières premières des vieux appareils. »

Encore des progrès à faire partout dans le monde

Les vieux appareils contiennent donc des matières premières précieuses qu’il convient de récupérer. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Il faut aussi savoir que certaines matières premières comme le néodyme ou l’indium, qui font partie des terres rares, ne sont encore presque jamais récupérées aujourd’hui, en partie parce que cela ne vaut pas le coup économiquement. Par ailleurs, le recyclage des vieux appareils fonctionne bien ici en Suisse, mais ce n’est pas le cas dans de nombreuses régions du monde. L’extraction des matières premières utilisées dans nos appareils est très nuisible à l’environnement. Dans notre pays riche qu’est la Suisse, de nombreux appareils sont jetés, alors qu’ils pourraient encore être utilisés. Tous ces aspects seront abordés dans les quatre autres épisodes de cette série. La prochaine partie s’intéressera aux polluants qui se trouvent dans nos équipements obsolètes et sur la difficulté de les éliminer.

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En tant que journaliste scientifique indépendant, je préfère écrire des articles de fond sur la santé, l'environnement et la science.


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