
Coronavirus : peur, infection, protection et médias

Le coronavirus circule. Le risque statistique d'infection en Suisse et dans le monde est négligeable. Mais : l'OMS est en état d'urgence et les médias exploitent le thème. Un regard critique sur une sensation.
Le coronavirus circule. Des gens meurent. Le monde est en ébullition. Les masques de protection et les désinfectants sont achetés à tour de bras dans les rayons des détaillants et des magasins spécialisés. Dans l'esprit des Suisses, des idées apocalyptiques fleurissent. Ils ont peur d'être infectés par le coronavirus et, dans le pire des cas, d'en mourir.
L'Organisation mondiale de la Santé OMS tout comme les médias parlent d'une épidémie. Mais : jusqu'au 30 janvier 2020, l'OMS s'est abstenue de déclarer une « Public Health Emergency of International Concern » (PHEIC), c'est-à-dire une urgence de santé publique de portée internationale – en bref : une urgence sanitaire internationale. Le concept de la PHEIC a été développé après la crise du SRAS en 2002 et 2003 et définit un état dans lequel une maladie infectieuse n'est pas seulement le problème d'un individu ou d'un État-nation particulier, mais quelque chose que la communauté internationale doit traiter immédiatement. Cinq PHEIC ont été déclarés depuis 2009. Deux fois pour le virus Ebola (2014 et 2019/2020), une fois pour la grippe porcine (2009), la polio (2014) et le virus Zika (2016).
La question de savoir si le coronavirus sera déclaré PHEIC fait actuellement l'objet de réunions d'urgence de l'OMS.
Dans ses documents publics, l'OMS veille à ne pas semer la panique et se montre prudente, mais optimiste. Dans les médias – en Suisse comme à l'étranger – apparaissent des rapports qui suggèrent des conditions apocalyptiques. La Chine serait un pays au bord du gouffre, la Suisse est le suivant. S'agit-il seulement de semer la panique ou y a-t-il des informations fondées ? Nous jetons un regard sur les faits.
Coronavirus : infection et tableau clinique
Le coronavirus qui circule de nos jours est appelé Novel Coronavirus ou 2019-nCoV. Le terme « coronavirus » lui-même décrit une famille de virus qui comprend le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) et le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV). Le nouveau coronavirus 2019-nCoV n'a pas encore été détecté chez l'homme jusqu'à ce que les autorités chinoises signalent une épidémie le 31 décembre 2019. Depuis lors, 6065 cas d'infection au CoV 2019 ont été signalés dans le monde, dont 5997 en Chine.

Les coronavirus sont des zoonoses. Ils se transmettent des animaux aux humains. Les recherches ont montré que le SRAS-CoV a été transmis des civettes à l'homme. Le MERS-CoV peut être transmis des dromadaires aux humains. Il existe encore plus de coronavirus qui touchent les animaux, mais qui n'ont pas encore été transmis à l'homme.
Les symptômes de l'infection par les coronavirus sont les suivants :
- fièvre
- toux
- essoufflement
- difficultés respiratoires
Dans les cas graves, l'infection par un coronavirus peut entraîner une pneumonie, un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), une insuffisance rénale ou même la mort.
Les personnes infectées et la propagation du virus
À date du 29 janvier 2020, l'OMS a connaissance de 6065 infections confirmées par le coronavirus dans le monde. Sur ce nombre, 5997 cas se trouvent en Chine, 68 dans le reste du monde. Selon l'analyse des données recueillies par l'Université John Hopkins, quatre personnes sont infectées par le virus en Allemagne, cinq en France et une en Finlande.

Tous les décès associés au coronavirus sont enregistrés en Chine. Jusqu'à présent, selon l'OMS, 132 personnes sont décédées. Dans le contexte des infections, cela signifie que 2,1 % des personnes infectées sont mortes de la maladie.

Pour bien garder la situation en vue, l'OMS enregistre non seulement les personnes infectées et les décès, mais aussi les cas suspects. Jusqu'au 29 janvier, l'OMS avait signalé 9239 cas suspects en Chine. Autrement dit, 60,1 % des personnes soupçonnées d'être infectées par le virus se sont avérées être infectées.

Le taux de mortalité dans ce contexte est de 0,9 %. Lors d'une conférence de presse de l'OMS, le journaliste Li Zengxin du magazine économique Caixin Media a posé des questions sur les caractéristiques des morts. Est-ce que les victimes du coronavirus ont des caractéristiques communes ?
La réponse provient de Maria van Kerkhove, chef de la Task Force d'enquête sur les épidémies et consultante à l'OMS :
D'après les informations dont nous disposons, certaines personnes partagent certaines caractéristiques. Beaucoup d'entre elles avaient d'autres problèmes médicaux et étaient d'un âge avancé. D'après l'expérience acquise avec d'autres agents pathogènes respiratoires, l'âge avancé et d'autres problèmes médicaux sont des facteurs de risque connus pour le développement de maladies graves et la mort.
Selon l'OMS, les personnes en bonne santé ont de grandes chances de survivre au virus sans séquelles.
La protection contre le virus
Mais : l'OMS note que le taux d'infection est « élevé » dans le monde, voire « très élevé » en Chine. Par conséquent, la protection contre le virus est appropriée si vous êtes âgé et/ou sujet aux maladies ou si vous avez régulièrement affaire à des personnes sujettes aux maladies.
L'OMS a publié un guide sur ce sujet, dans lequel les meilleures pratiques à suivre sont communiquées. Celles-ci devraient maintenir le risque d'infection aussi faible que possible.
- Lavez-vous souvent les mains avec une solution hydroalcoolique ou à l’eau et au savon.
- Si vous avez besoin d'éternuer ou de tousse, couvrez-vous la bouche et le nez avec le pli du coude ou avec un mouchoir – jetez le mouchoir immédiatement après et lavez-vous les mains.
- Évitez tout contact proche avec les personnes qui ont de la fièvre et qui toussent.
- En cas de fièvre, de toux et de difficultés à respirer, consultez un médecin sans tarder et indiquez-lui vos voyages effectués.
- Sur les marchés situés dans les zones où il y a actuellement des cas dus au nouveau coronavirus, évitez les contacts directs non protégés avec les animaux vivants et avec les surfaces en contact avec les animaux.
- Évitez la consommation de produits d’origine animale crus ou mal cuits.
- Manipulez la viande, le lait ou les abats crus avec précaution.
- Évitez de contaminer la viande crue avec d'autres aliments.
Remarquable : ce guide ne mentionne pas les masques largement utilisés en Asie. Toutefois, ces questions sont abordées dans le document intitulé « Advice on the use of masks the community, during home care and in health care settings in the context of the novel coronavirus (2019-nCoV) outbreak » – « Conseils relatifs au port de masques dans la communauté, lors des soins à domicile et dans les établissements de soins de santé dans le cas de flambée du nouveau coronavirus (2019-nCoV) ». Dans ce document, il est conseillé aux personnes travaillant dans le secteur médical et des soins de ne pas se fier uniquement au masque.
Le masque médical est l'une des méthodes de prévention visant à empêcher la propagation de certaines maladies respiratoires, dont le 2019-nCoV, dans les zones touchées. Le seul fait d'utiliser un masque ne suffit pas pour assurer un niveau de protection adéquat. D'autres mesures pertinentes devraient être prises. Si des masques doivent être utilisés, la mesure doit être combinée avec l'hygiène des mains et d'autres mesures de prévention et de contrôle des infections afin de prévenir la transmission interhumaine.
Compétence médiatique : protection contre la peur
Alors pourquoi, malgré ces faits optimistes, les ventes de masques explosent-elles même dans notre pays ? Réponse : en rendant compte d'une épidémie, les journaux et les chaînes de télévision remplissent non seulement leur devoir d'informer, mais aussi celui de divertir. Une épidémie comme celle-ci est « sexy » – du point de vue des médias.
De nos jours, le lecteur attentif vit dans une surenchère médiatique, c'est pourquoi chaque média doit rivaliser pour attirer votre attention. Au fait, nous n'échappons pas à la règle chez Galaxus. L'une des règles établies par l'ancien rédacteur du Guardian, Tim Radford, dit que « personne n'a à lire vos idioties » – règle n°6. Les passagers de la S5 du matin ne sont pas obligés de lire quoi que ce soit. Rien ne les renvoie plus vite vers Instagram que des nouvelles ennuyeuses. Dans ce contexte, « ennuyeux » a à voir avec le sensationnalisme, c'est-à-dire l'avidité des lecteurs pour les superlatifs. C'est la raison pour laquelle les titres sont souvent mis en scène de façon criarde et exagérée.
Des titres tels que « Le nouveau virus est responsable d'une maladie mystérieuse », « Le coronavirus est extrêmement dangereux », « Des villes chinoises sont bouclées » ou « Huang (23 ans) a survécu au coronavirus » semblent beaucoup plus attrayants que « La Suisse est très bien préparée au coronavirus » ou « Le Triemlispital de Zurich lève l'alerte » (articles uniquement disponibles en allemand). En examinant ces articles d'un œil critique, j'ai remarqué certaines choses.
- L'URL de « Le nouveau virus est responsable d'une maladie mystérieuse » est https://www.20min.ch/wissen/gesundheit/story/Neues-Virus-ist-Schuld-an-Lungenkrankheit-13009101. Le titre original de l'article parlait donc d'une « maladie pulmonaire », et non d'une « maladie mystérieuse ». Quelqu'un a modifié le titre pour qu'il fasse sensation et aille en direction du clickbait.
- Dans l'article « Huang (23) a survécu au coronavirus », c'est le premier cas de survivant suivi médicalement qui est documenté, et non le premier survivant en général. À lui seul, l'article donne l'impression que toutes les autres victimes sont mortes de la maladie. Huang est le seul à avoir survécu. John Hopkins parle de plus de 130 personnes guéries, le nombre de personnes pensant avoir eu la grippe au lieu du nCoV de 2019 est probablement beaucoup plus élevé. Au fait, la source de l'histoire semble être une vidéo sur un réseau social chinois.
Un article du numéro d'aujourd'hui du journal gratuit 20 Minuten décrit le mieux cette envie de faire sensation. Dans un interview avec l'étudiante Fabienne Blaser, intitulé « Leute haben Angst vor meiner Rückkehr » (« Les gens ont peur de mon retour »), Fabienne raconte sa vie à Wuhan, la « hot zone » du coronavirus. La ville, qui est plus grande que la Suisse, compte 11 millions d'habitants. Dans l'en-tête, 20 Minuten écrit « Elle raconte comment fonctionne l'approvisionnement alimentaire ... ». La réponse est simple : grâce au service de livraison de pizzas et cie. « Je reste à l'intérieur et j'utilise les services de livraison qui se déplacent en scooter électrique », explique Fabienne. Aussi parce que les magasins du campus sont fermés. Le reste de l'interview décrit une vie dans une ville qui est en pause. Ce qui est le mieux exagéré et simplifié de manière dramatique par les journalistes : Fabienne s'ennuie et va bientôt rentrer à la maison.
Un bon exemple de l'escalade et de la tendance des médias en ce qui concerne les maladies infectieuses est fourni par le comédien britannique Russell Howard, qui a comparé les reportages sur Ebola en Angleterre et aux États-Unis.
Cela signifie-t-il qu'il n’y a aucun danger ? Non. Mais il est présomptueux de s'affoler à cause de quelques articles voulant faire sensation.
Compétence médiatique : le contexte est important
Les données sont un langage clair. Par rapport à Influenza – la grippe normale – le coronavirus est relativement inoffensif. L'OMS surveille la grippe en permanence. Au cours des dernières semaines, l'OMS a identifié 44 481 cas de grippe. Coronavirus : 6065.

Le nombre de décès dus à la grippe n'est pas connu. Mais l'OMS a estimé en décembre 2017 qu'entre 290 000 et 650 000 personnes meurent de la grippe chaque année. Ce qui signifierait entre 5576 à 12 500 décès par semaine ou entre 715 à 1 786 décès par jour. 31 jours se sont écoulés depuis que le coronavirus a été surveillé le 31 décembre 2019. Avec les 132 décès dus à la maladie, cela représente 4,2, ou 5, décès par jour.

Néanmoins, la grippe n'est presque plus mentionnée. 20 Minuten aborde une fois l'épidémie de grippe en Suisse le 15 janvier 2020 dans l'article « Une vague de grippe déferle sur la Suisse » (article en allemand). Le journal fait référence à un rapport de l'Office fédéral de la santé publique, qui a fait état de 215 « affections grippales » pour 100 000 personnes en Suisse. À titre comparatif, 11 081 000 personnes qui vivent à Wuhan. Parmi elles, 5997 personnes sont infectées par le coronavirus. Cela correspond à un taux d'infection arrondi à 55 personnes pour 100 000 personnes. Dans le monde, le coronavirus a un taux d'infection de 0,08 personne pour 100 000 personnes, sur la base d'une population mondiale de 7,7 milliards d'individus.

Le battage médiatique autour du coronavirus n'est, du moins en Suisse, guère plus qu'une surreprésentation du sujet dans les médias. Dans cet article, j'ai cité 20 Minuten comme exemple. Cela ne veut pas dire que 20 Minuten est la seule publication qui exploite le sujet pour le bénéfice de son lectorat. Partout, les histoires sont exagérées de telle sorte qu'elles déforment la réalité de la maladie.
Faut-il tout de même être prudent ? Oui, car la saison de la grippe est en cours et les méthodes de protection contre le virus 2019-nCoV contribuent aussi à sa lutte. Les chances que vous attrapiez le coronavirus sont faibles. La probabilité de conséquences graves ou même de décès est infinitésimale. Du moins en Suisse. Si vous avez la grippe, restez chez vous et rétablissez-vous. Si vous avez du mal à respirer, il vaut mieux consulter un médecin le plus tôt possible.
Il ne faut pas s'attendre à des conditions apocalyptiques.
Les images des villes présentées dans cet article sont tirées du compte Instagram de pandasquirrel. Elle a pris les photos en Chine le 28 janvier 2020.

Journaliste. Auteur. Hackers. Je suis un conteur d'histoires à la recherche de limites, de secrets et de tabous. Je documente le monde noir sur blanc. Non pas parce que je peux, mais parce que je ne peux pas m'en empêcher.