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En coulisse

C’est devenu si difficile de se voir

Thomas Meyer
17/9/2025
Traduction: Martin Grande

Quand j’étais jeune, il suffisait d’un coup de fil pour voir ses amis. Aujourd’hui, cela nécessite de nombreux messages, et parfois plusieurs semaines d’attente.

Il y a peu de temps, j’ai fait quelque chose de complètement fou. J’ai appelé mon vieil ami Simon et je lui ai demandé s’il voulait dîner avec moi... tout de suite. Vingt minutes plus tard, nous étions assis au Lily’s, un restaurant asiatique prisé de Zurich, et nous discutions du fait qu’il était habituellement beaucoup plus compliqué de voir ses connaissances. « C’est vrai qu’ici aussi, il y a du monde aujourd’hui », a fait remarquer Simon en montrant de la main la salle pleine de l’établissement. « Oui, lui ai-je répondu, c’est parce qu’ils se sont tous mis d’accord il y a six semaines, en se gardant l’option d’annuler jusqu’au dernier moment. »

Quand nous étions jeunes, il y a trente ans, nous nous appelions à la maison. Nous connaissions tous les numéros par cœur, et nous convenions d’un rendez-vous pour le lendemain ou le surlendemain soir. La date et l’heure étaient respectées sans qu’on ait besoin de reconfirmer la veille. On ne se gardait pas l’option d’annuler jusqu’au dernier moment. Personne ne disait : « je dois regarder ». Qui essayait de fixer une sortie deux semaines plus tard passait pour une extraterrestre. Il en va de même pour celles qui tenaient un agenda.

  • En coulisse

    Ma petite histoire de la télécommunication

    par Thomas Meyer

La malédiction de l’esquive

Les téléphones portables sont arrivés et les SMS se sont imposés en peu de temps. Cela n’a pas fait du bien à la communication en général. Jusqu’alors, nous avions négocié les problèmes de relations et d’amitiés en personne ou de vive voix, au téléphone. C’était terriblement désagréable, mais cela permettait généralement de résoudre l’affaire.

La nouvelle technologie nous a offert la possibilité d’éviter la confrontation directe. Dès lors, nous nous sommes transformés en juristes militants qui se lancent des messages courts qui laissent libre cours à l’interprétation de leurs destinataires. Bien que cela se terminait systématiquement par de terribles déchirements, nous semblions préférer cela à devoir nous regarder dans les yeux. Il m’a fallu plusieurs années pour réaliser à quel point c’était absurde, et quelques unes de plus à tenter de perdre cette habitude.

Toujours plus de messages

Même décrocher le téléphone s’est brusquement compliqué. Ce qui prenait auparavant au maximum deux minutes de conversation passait à au moins cinq messages ou e-mails. Et comme on ne connaît pas qu’une seule personne, mais plusieurs, la quantité de messages s’est multipliée à l’infini. Tout d’un coup, il y a eu des doubles réservations, des questions oubliées et la formule « on se redit ». De plus, il est monnaie commune de constater un temps de réponse considérablement plus long entre les messages.

Une fois de plus, nous aurions pu rapidement nous rendre compte que nous nous compliquons inutilement la vie en écrivant au lieu de parler. D’autant plus que d’une certaine manière, nous trouvions la nouvelle ère tellement géniale que personne ne voulait revenir aux méthodes estimées anciennes.

Amitiés manquées

Depuis, nous nous sommes complètement perdus. Récemment, j’ai essayé de voir un ami, ce qui n’a pas été facile parce que nous avons tous les deux un travail et des enfants. Après deux propositions de rendez-vous infructueuses, il m’a demandé de lui proposer à nouveau des rendez-vous « au plus tôt dans deux semaines, pour convenir d’une date ».

Se fixer une date pour se fixer une date !

« Dis-moi juste un soir où on pourra se voir », lui ai-je demandé. Et ça a marché... cinq semaines plus tard. Une heure, puis il a dû partir.

Il n’est pas le seul. Je n’ai affaire qu’une ou deux fois par an avec beaucoup d’autres personnes qui me sont très chères. Je pourrais les appeler, même plusieurs fois par semaine, comme avant. Ou elles pourraient m’appeler. Au lieu de cela, on s’écrit tous les deux mois :

Ça va ?
Bien, toi ?
Ça va, très occupé en ce moment.
Moi aussi.
On se fait un truc un de ces jours ?
Pourquoi pas !

Et ça s’arrête là. J’avoue que je ne suis pas mieux. Moi aussi, j’écris aussi avec frivolité au lieu de simplement appuyer sur l’icône du téléphone, dont je commence à oublier le fonctionnement. Parfois, j’appelle quand même, et nous parlons alors avec soulagement du fait qu’il est quand même plus simple et sympathique de passer un petit coup de fil. Et ça s’arrête là...

Sortie ou mise à jour ?

Dans les rares cas où nous arrivons enfin à nous voir, la soirée consiste principalement à s’informer mutuellement de ce qui s’est passé dans nos vies respectives depuis la dernière fois. L’étonnement est grand : quoi, tu habites en Argovie maintenant ? Quoi, vous avez un deuxième enfant ?

C’est moins une conversation qu’une mise à jour. Comme deux grenouilles sous speed, on saute d’un sujet à l’autre sans en approfondir aucun, et on se jure de ne pas laisser passer autant de temps jusqu’à la prochaine fois en se quittant. Et c’est précisément ce qui est très susceptible de se produire. Nous sommes devenus des comètes qui apparaissent brièvement tous les 100 ans dans le firmament de l’autre pour ensuite disparaitre dans l’obscurité.

L’impolitesse de l’appel

Bien sûr, tout cela n’est que ma perception. Il y a probablement beaucoup de gens qui se fixent des rendez-vous en s’appelant, comme Simon et moi avant.

Cependant, ma partenaire, née une génération après moi, pense que plus personne ne téléphone. Selon elle, seuls moi et d’autres boomers le ferions. Je suis le seul à qui elle parle au téléphone. Il semblerait même qu’il serait impoli d’appeler aujourd’hui.

Appeler est-il impoli ? Stupéfait, je lui ai demandé des explications. Eh bien, dit ma partenaire, les jeunes trouvent que c’est une agression de s’appeler. En quelque sorte, cela les prive de la liberté de décider eux-mêmes du moment où ils communiquent.

J’ai moi-même eu plusieurs mauvaises expériences dans ma vie et je sais malheureusement ce qu’est une agression. Un appel téléphonique ne fait pas partie de la liste. Par contre, j’ai une dent contre les messages vocaux à rallonge.

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Recette pour sauver les amitiés

Il y a quelques jours, j’ai fait quelque chose d’encore plus fou. J’ai écrit à un autre ami, qui s’appelle aussi Simon, que j’aimerais bien qu’on se voit plus régulièrement. Une fois par mois. Depuis, c’est ce que nous faisons, et nous fixons le prochain rendez-vous en direct, avant de nous quitter. Cela prend deux minutes, comme avant. En plus, on peut voir cela comme un compliment signifiant : j’aime tellement passer du temps avec toi que l’intervalle entre les deux doit être court.

Comment fixez-vous vos rendez-vous perso ? Appelez-vous encore ou écrivez-vous seulement ? Combien de fois voyez-vous vos amis et combien de temps s’écoule-t-il entre vos rencontres ? Est-ce que vous vous disputez par messages (arrêtez tout de suite !) ? Et Thomas Meyer est-il un boomer ? Dites-nous tout dans les commentaires !

Photo d’en-tête : Shutterstock / anto4ka

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Né à Zurich en 1974, Thomas Meyer est écrivain. Il a travaillé comme rédacteur publicitaire jusqu'en 2012, date à laquelle son premier roman, « Le formidable envol de Motti Wolkenbruch », a été publié. Papa d'un garçon, il a toujours une bonne excuse pour acheter des Lego. Pour en savoir plus sur lui : www.thomasmeyer.ch. 


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