En coulisse

« Nous devons changer notre manière de consommer. »

Vanessa Kim
11/6/2020

Anna Ruohonen, créatrice de mode d'origine finlandaise, ne jure que par la mode durable. Grâce à ses créations, elle veut aussi montrer l'exemple dans sa ville de cœur, Paris, où la mode lente n'en est qu'à ses balbutiements.

L'atelier de mode d'Anna Ruohonen se cache au cœur du quartier parisien vibrant du Marais derrière une lourde porte en bois qui ne s'ouvre qu'en appuyant sur un bouton. Une fois franchie, il faut longer un chemin pavé qui mène à l'entrée de l'atelier. Tout cela a quelque chose de mystérieux. « C'est ce qui donne son charme à la boutique », déclare la Finlandaise. « Il est communément admis que les Françaises sont mystérieuses et ne partagent qu'à contrecœur les bons tuyaux. Ne demandez jamais à une Française de vous dire le nom de son parfum, elle ne vous le révèlera pour rien au monde », ajoute la spécialiste de la mode féminine en riant. Toutefois, elle n'aurait rien contre un petit coup de pub de la part de ses clientes.

Depuis un an et demi, le studio lumineux lui sert de boutique et d'atelier de couture. Tout y est rangé avec soin. Des tringles sont fixées les unes après les autres le long du mur. Les créations, classées par couleur, sont suspendues sur des cintres en bois blancs dans un alignement parfait. Le style d'Anna suit la tradition scandinave : des coupes pensées et une simplicité intentionnelle. « Je ne suis aucune mode. Mes pièces sont avant tout intemporelles. »

Le local est aménagé dans la longueur. C'est ici qu'Anna accueille sa clientèle. Au fond, derrière le paravent blanc, se trouve un petit bureau.
Le local est aménagé dans la longueur. C'est ici qu'Anna accueille sa clientèle. Au fond, derrière le paravent blanc, se trouve un petit bureau.

Anna mise sur la durabilité, aussi bien dans son boulot qu'à la maison. C'est pourquoi elle ne produit que sur commande depuis plus de dix ans maintenant, ce qui lui évite d'avoir du surplus, des invendus, des réserves ou des prototypes inutiles quand la saison touche à sa fin. « Pourquoi devrais-je produire des pièces qui me resteront sur les bras ? » Elle a conscience qu'elle dépend de la patience de ses clientes, mais vu que la plupart se préoccupent de l'environnement, elles comprennent l'attente. « Si j'ai les matériaux nécessaires en stock, je peux très bien produire une pièce pour le lendemain, dans les cas d'urgence. » C'est surtout pratique pour les touristes qui ne restent que quelques jours à Paris. Les locaux, eux, n'ont que rarement recours à ce service. Par ailleurs, vu que la créatrice de mode possède une autre boutique à Helsinki, mais que les pièces sont produites à Paris, les Finlandaises doivent patienter trois à quatre semaines pour une commande.

Anna Ruohonen est arrivée à Paris dans le cadre de ses études à la fin des années 1990 pour un échange à l'Institut Français de la Mode. Avant de créer sa marque homonyme en 1999, Anna a travaillé pour de grands couturiers, dont Martin Margiela. En parallèle, elle faisait partie de projets de design indépendants, ébauchait des tissus et des imprimés pour différentes entreprises de textile et produisait des costumes pour des projets de films ou de théâtre. Les six mois d'échange sont devenus 25 ans. « Je trouve les gens et les différentes cultures fascinants à Paris. Ils m'inspirent quotidiennement. » De plus, ses enfants sont scolarisés ici.

Anna en train de regarder des ébauches de tissus et de pièces.
Anna en train de regarder des ébauches de tissus et de pièces.

Même si la Finlandaise possède aussi une boutique en ligne, elle tient à ses deux boutiques physiques pour permettre à ses clientes d'essayer ses créations et de toucher les tissus. Car, en fin de compte, elles paient leur vêtement entre 180 et 950 euros. En revanche, lorsqu'elles viennent récupérer leur commande, une couturière fait directement les retouches sur place. Vu qu'Anna ne se trouve pas assez douée en couture, elle a engagé deux couturières dans son atelier.

Ses boutiques représentent un autre avantage : le contact direct avec la clientèle qui lui permet d'entendre les souhaits de ses clientes et de les appliquer sur de nouvelles pièces. « Arrivées à un certain âge, beaucoup de femmes n'aiment plus leurs bras. Moi non plus. C'est pourquoi je conçois de nombreuses pièces à manches longues », affirme Anna en souriant. En outre, il arrive qu'elle doive justifier les prix de ses créations, car elle utilise exclusivement des matériaux naturels et de qualité tels que la soie, la laine, le mohair et le cachemire. « Beaucoup ne comprennent souvent pas que la qualité a son prix. Même après avoir été portées plusieurs fois, mes pièces sont comme neuves. » Le but est que la cliente ait le plus longtemps possible du plaisir à les porter. Son objectif est donc de créer des vêtements qui deviendront des pièces préférées et qui seront, plus tard, transmis à la prochaine génération au lieu d'être jetés, car la mode du seconde main contribue largement à la protection de l'environnement.

Ce n'est pas sorcier

Anna explique pourquoi elle s'est plutôt décidée pour la fabrication à la demande que la production de masse. Bien entendu, l'avantage de la production en grande quantité réside dans des coûts de production moindres. En revanche, il n'est pas rare d'arriver en fin de saison avec des invendus, même après les soldes, et de voir les vendeurs obligés de brader leurs prix. « Ainsi, vous perdez non seulement une grande partie de votre marge, mais vous devez aussi brûler le surplus, ce qui engendre heureusement des frais. » Il est absurde de devoir se débarrasser ainsi de la marchandise intacte. « Au niveau mondial, on produit environ le double de vêtements que ce que l'on peut porter.

Des piles de prototypes et de patrons se trouvent dans l'atelier de couture d'Anna Ruohonen. On aperçoit dans le fond une machine à coudre industrielle.
Des piles de prototypes et de patrons se trouvent dans l'atelier de couture d'Anna Ruohonen. On aperçoit dans le fond une machine à coudre industrielle.

En outre, il faudrait qu'on apprenne à calculer. « Si vous achetez un t-shirt à dix francs et le portez seulement deux fois, alors il vous coûte cinq francs par jour, bien plus cher qu'un t-shirt issu du commerce équitable au prix de 100 francs que vous porteriez plus de cent fois durant les années à venir. » En effet, un t-shirt bon marché ne supporte que peu de passages à la machine. « Nous avons comme réflexe de regarder le prix au lieu de la qualité », s'exaspère Anna en secouant ses boucles blondes.

« C'est pour cette raison que je ne conçois pas plusieurs collections par année comme d'autres créateurs. » Le mot magique est : le slow-fashion. La créatrice change souvent la couleur ou retravaille une coupe d'un modèle déjà existant. Ce sont de petites choses qui font toute la différence. « Pourquoi devrais-je retirer une pièce de mon assortiment qui se vend bien depuis vingt ans ? » Si cette pièce se vend bien, c'est qu'Anna a fait du bon boulot.

Hâtons-nous lentement

Son pays d'origine tout comme son pays de cœur sont intéressants en ce qui concerne la mode. Paris est la métropole de la mode par excellence. Helsinki, en revanche, est à la pointe de la conscience de la durabilité, car les Scandinaves consomment délibérément des produits durables. Une fois par an, depuis 2015, a lieu la Helsinki Fashion Week qui se préoccupe de la durabilité dans la mode et au cours de laquelle Anna présente également ses créations. Le but de cette semaine de la mode est la promotion d'une conscience de consommation durable. À Paris, en revanche, ce n'est qu'en septembre dernier qu'a eu lieu le premier sommet sur le thème de la durabilité dans l'industrie de la mode, le Circular Fashion Summit. Pour ce qui est des questions environnementales, la France est à la traîne et commence tout juste à s'y intéresser. De nombreux Français ne savent même pas ce que sont les fibres naturelles. « C'est seulement lorsqu'on aura atteint une certaine connaissance de base qu'on pourra chercher des solutions », souligne Anna, « tant que les Français consommeront de la mode « fast », rien ne pourra changer. »

« Nous produisons du plastique pour que certaines marques de sport puissent en faire des baskets supposément écologiques. »

Les déchets représentent l'un des plus grands problèmes environnementaux. « Nous devons agir et pas seulement en parler », avertit Anna. C'est une des nombreuses raisons pour lesquelles elle mise sur le concept de fabrication à la commande. Aujourd'hui, les gens commandent en ligne et attendent d'être livrés et, lorsqu'il s'agit de meubles ou de voitures, les délais de livraison sont plus importants. Pourquoi est-ce que ça ne fonctionnerait pas ainsi avec les vêtements ? « Nous devons changer notre manière de consommer. » Recycler les déchets et leur donner une nouvelle vie n'est pas la solution. « Nous devrions plutôt arrêter de produire des bouteilles en plastique pour seul but que les marques de vêtements de sport puissent en faire des baskets supposément écologiques. C'est de l'écoblanchiment pur et simple. »

Anna ne possède pas de voiture. Sa maison se trouve à 30 minutes de son atelier.
Anna ne possède pas de voiture. Sa maison se trouve à 30 minutes de son atelier.

Anna essaie de vivre de manière durable également dans sa vie privée. Sa famille ne possède pas de voiture. « J'habite dans le XIVe arrondissement. Le trajet jusqu'à mon travail est une bonne manière de faire mon entraînement quotidien. » Grâce à son vélo, elle contribue à une empreinte carbone neutre. Par ailleurs, elle ne mange quasiment pas de viande rouge, ne consomme que le nécessaire et prend le moins possible l'avion. « Comme je déteste le plastique, je ne bois que dans des bouteilles en verre. » Au magasin, la créatrice renonce à tous les aliments qui sont emballés inutilement dans du plastique. Ce n'est qu'une goutte dans l'océan, mais qui peut faire une différence si chacun y met du sien.

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Quand je ne suis pas en train d'explorer les océans, je plonge avec bonheur dans l'univers de la mode. Toujours à l’affût des dernières tendances dans les rues de Paris, Milan et New York, je vous montrerai comment arborer ces habits de podium dans la vie de tous les jours. 


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