
En coulisse
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par Luca Fontana
Les chauffeurs de Nez Rouge restent éveillés jusque tard dans la nuit pour ramener les utilisateurs à bon port, et ce, de façon bénévole. Je les ai accompagnés toute une nuit.
Base aérienne de Dübendorf. On est mercredi, il est 21 h 30. À la porte, le responsable militaire me remet un badge de visiteur contre ma pièce d'identité. De l'autre côté du lourd portique en fer, on m'attend pour me conduire à la centrale où l'ambiance qui règne n'a absolument rien de militaire, la base aérienne étant juste un aspect logistique finalement. Autour des tables jonchées de cacahuètes, chocolat, mandarines et gobelets à café se trouvent six hommes d'âge différent qui discutent à tue-tête. Leurs uniformes – d'épaisses vestes rouges avec le logo de Nez Rouge – sont accrochés à leur chaise.
Ce soir, ces bénévoles ramèneront en toute sécurité et à bon port celles et ceux qui ne pourront ou ne souhaiteront pas conduire. Leur mission ? Rendre les routes plus sûres en décembre. « En ce mois, les apéritifs avant Noël se succèdent, les gens boivent souvent un verre de trop », explique Hans Koller, responsable des médias de Nez Rouge Zurich. En décembre dernier, 16 800 trajets ont été réalisés, 35 200 personnes dans toute la Suisse ont été reconduites chez elles en toute sécurité grâce à 10 700 bénévoles – un record –, dont Fredy Schaffer, avec nous depuis l'an dernier à peine, et Marcel Tschopp, dans l'association depuis plus d'une dizaine d'années. « Il y a dix ans, j'étais ambulancier bénévole. Je ne sais donc que trop bien ce qui peut se passer sur la route lorsqu'on est alcoolisé », déplore Marcel. Les motivations de Fredy diffèrent du tout au tout. « Je suis officiellement divorcé depuis l'été dernier. Je ne vois mes enfants que de temps à autre, alors je cherchais à donner du sens à ma vie au lieu de rester à la maison à broyer du noir. »
21 h 45. Il est temps de faire un court briefing avant l'ouverture des lignes pour les appels à 22 h. Marguerite Weber, directrice des opérations, explique à tous les bénévoles ce à quoi il faut faire attention en cette soirée. « Vérifiez toujours si la voiture du client est en état de marche, car c'est vous, en tant que chauffeur, qui en êtes responsable, et non le propriétaire. Et faites signer le client à la fin pour confirmer que tout est en ordre. » Sur cette feuille, on inscrit entre autres les heures de prise en charge et d'arrivée ainsi que le montant du pourboire. Nez Rouge fonctionne grâce aux dons. Ce qui m'étonne, c'est que les chauffeurs ne touchent rien, tout va à l'organisation. « Cette année, nous prenons le volant pour l'association Surprise, qui s'engage en faveur des personnes socialement défavorisées en Suisse. Selon Marguerite Weber, 80 % de toutes les recettes, après déduction de la totalité des dépenses, lui seront reversées. Les chauffeurs de Nez Rouge sont récompensés par le sentiment d'avoir rendu service à la communauté. Et ils mettent même la main au porte-monnaie : « Nous devons payer nous-mêmes les amendes et la veste rouge, mais nous recevons un bon de plein d'essence de 10 CHF pour 100 kilomètres parcourus », explique Fredy. « Cet engagement et toutes ces rencontres m'apportent tellement qu'au final, ça ne me dérange pas ».
« Ce sera probablement calme. Mais ce serait bien que vous puissiez tous sortir ensemble », lance Marguerite Weber. Cela ferait trois voyages, car les bénévoles travaillent toujours en binôme. Soit ils conduisent l'une des voitures de Nez Rouge, soit – s’il n'y a pas assez de véhicules –, avec la leur pour se rendre jusqu'au lieu où se trouve le client. Une fois là-bas, ils se répartissent les tâches : l'un ramène le client chez lui avec la voiture de ce dernier tandis que l'autre le suit dans la voiture de l'association.
Une fois toutes les questions clarifiées, Marguerite Weber se rend dans la pièce attenante où se trouve le centre des opérations à proprement parler. Après avoir ouvert les lignes téléphoniques, elle a juste assez de temps pour m'expliquer brièvement le déroulement d'un appel avant que la première sonnerie ne retentisse. 22 h 04 : je ne m'attendais pas à un appel si tôt. Après la théorie, place à la pratique. Elle enregistre le nom, le lieu, la destination et le numéro de téléphone du client. Parallèlement, elle ouvre Google Maps pour estimer le temps nécessaire à l'équipe Nez Rouge afin de retrouver le client. J'ai hâte de partir en mission, car Fredy et Marcel sont dans l'équipe 1, donc les premiers. Mais je me suis réjoui trop tôt, le client a envie de rester discret. L'équipe 2 est donc dépêchée à notre place. 20 minutes plus tard, c'est à notre tour. Nous allons chercher un monsieur d'Oerlikon pour le conduire à Rapperswil.
Une fois à bord de la Volvo de l'association, je leur demande quelles distances ils parcourent et si ces courses ne sont autorisées qu'au sein du canton. « Non, il nous arrive aussi de nous rendre dans les cantons voisins, il n'y a pas de réglementation officielle en la matière. Mais la plupart des voyages se font dans le canton de Zurich », lance Marcel. « Le 24 décembre 2018, mon premier jour, j'ai parcouru 360 kilomètres. Mais de telles distances sont plutôt l'exception », ajoute Fredy en saisissant l'adresse dans le système de navigation. Allez, bouclez votre ceinture, c'est parti ! Il est temps d'en apprendre davantage sur mes compagnons. « J'étais éducateur social et travaillais avec des personnes handicapées. J'étais amené à me mettre au volant d'un minibus adapté aux fauteuils roulants. C'est comme ça que j'ai pris l'habitude de conduire prudemment », explique Fredy. Aujourd'hui, il est rentier AI. On lui a diagnostiqué une sclérose en plaques. La liste des missions de bénévolat de Marcel est longue : outre les dix années en tant qu'ambulancier, il s'est également investi dans l'aide en montagne et auprès des pompiers.
On y est presque, encore dix minutes environ. Marcel, le passager, appelle le client pour lui dire qu'il peut commencer à se préparer. « Malgré cela, il y a toujours des gens qui veulent prendre un dernier verre au moment où l'on arrive. » Mais on n'a pas le temps pour ça, surtout les soirs où l'on gère un appel après l'autre. C'est le cas le week-end et les réveillons de Noël et du Nouvel An. « Le dernier jour de l'année est de loin le plus chargé », indique Marcel. Marguerite Weber me l'a également confirmé tout à l'heure. Ils parviennent à peine à faire face à toutes les demandes et auraient facilement besoin de 50 équipes. On est plus proche de 40, et encore. Il manque toujours des bénévoles lors de ces journées.
Nous venons d'arriver. C'est tout du moins ce que nous pensions. Pendant que Marcel cherche le client dans le parking, j'en profite pour échanger un peu avec Fredy. Je lui demande s'il est normal que seuls les hommes – en âge d'être en retraite pour la majorité – soient de service. « Non, l'année dernière, j'ai fait équipe avec pas mal de femmes. Mais les retraités sont légion. J'ai néanmoins été étonné de voir autant de personnes actives faire du bénévolat : médecins, avocats, policiers..., toutes sortes de professions. » Marcel revient. Tout seul. Nous sommes dans le mauvais parking. Retour à la voiture et direction la bonne adresse. Le client nous y attend sagement. Marcel descend avec lui au garage souterrain pour récupérer sa Cadillac. Je reste avec Fredy, le client préfère être reconduit chez lui et sans mes questions curieuses. Dommage, j'attendais avec impatience de pouvoir lui demander son avis.
« En chemin, on a la possibilité de discuter avec les clients en général. Ils racontent leur vie et expriment le fait qu'ils apprécient notre travail », explique Fredy. Les personnes complètement saoules font exception. « La plupart sont juste éméchés. Il y en toujours aussi qui sont trop fatigués pour reprendre le volant. » La route menant à Rapperswil est longue, on parle de tout et de rien, par exemple de la lune là dehors, des particularités de cette section du parcours et de la vie en général. Nous passons devant la bretelle de sortie pour Dürnten. « C'est là que j'habite. Si vous voulez, on pourrait tous aller boire un café ensemble chez moi sur le chemin du retour », propose Fredy. C'est une bonne idée, je commence à avoir sommeil à l'arrière.
Une fois arrivé chez le client à Rapperswil, Marcel remplit la demande de transport et se voit remettre 50 francs. Le client rentre chez lui. Il est maintenant 23 h 44. « Entre 20 et 50 francs, c'est à peu près le montant normal qu'on obtient pour une course. Il est extrêmement rare que quelqu'un ne donne rien du tout », dit Marcel. Lui aussi est d'accord de s'arrêter chez Fredy pour le café. Les lignes restent ouvertes jusqu'à 1 heure du matin, un deuxième déploiement est peu probable. Ceux-ci sont envoyés par SMS et attribués à l'équipe qui peut être sur place le plus rapidement. Mes deux compagnons de fortune ont l'air de bien se connaître. Je me demande s'ils ont déjà conduit ensemble. « Non, pour Marcel et moi, c'est la première nuit ensemble », lance Fredy en riant.
Le café nous a requinqués. La pause toilette est également la bienvenue. Mais je me demande comment les bénévoles font. « Vous devez demander au client si vous pouvez rapidement utiliser leurs toilettes ou bien vous arrêter dans l'établissement où vous le récupérez », explique Fredy. Il nous raconte encore d'autres trucs, par exemple qu'il possède une maison électrobiologique. « J'ai construit cette maison il y a 11 ans et l'ai protégée de toutes les radiations. J'utilise aussi l'énergie solaire et l'eau de pluie. À l'époque, tout le monde me prenait pour un fou. Mais aujourd'hui, on me considère comme un pionnier. » J'apprends aussi qu'on a le droit de conduire jusqu'à 70 ans chez Nez Rouge. Passé cet âge, c'est terminé.
Une fois les tasses vidées, il nous faut reprendre la route pour être à la centrale à une heure du matin. Y compris Fredy, qui serait théoriquement déjà chez lui. Pas facile. Arrivés à la centrale, c'est le calme plat, seule Marguerite Weber est encore là. Elle a reçu cinq appels au total aujourd'hui. Pas mal pour une soirée tranquille ! À la fin de ma mission, on me donne un petit cadeau, un petit renne en peluche, la mascotte de Nez Rouge. On prend congé les uns des autres avant de se diriger vers la sortie. Certes, je n'ai pas bu d'alcool, mais j'ai quand même le nez tout rouge. Il fait un froid glacial par cette nuit claire. Heureusement, Fredy me dépose à Zurich. Au portail, nous redonnons le badge contre la pièce d'identité. Il est maintenant 01 h 21.
Élargir mon horizon: voilà comment je résumerais ma vie en quelques mots. J'aime découvrir de nouvelles choses et en apprendre toujours plus. Je suis constamment à l'affût de nouvelles expériences dans tous les domaines: voyages, lectures, cuisine, cinéma ou encore bricolage.