
Point de vue
Été = soleil et aventure ? Pas pour moi !
par Debora Pape
Dès que c’est possible, je voyage en train. Voici pourquoi cela me rend heureux et pourquoi vous devriez vous y mettre.
Ce qui a commencé comme un renoncement à l’avion pour le bien de la planète est devenu un vrai plaisir. Dès que c’est possible, je prends le train pour mes voyages en Europe. Cela fait longtemps que ce n’est plus pour des raisons morales ou à cause de l’empreinte carbone. J’aime réellement voyager longtemps et lentement, les trajets en train sont un véritable plaisir. Je préfère d’ailleurs voyager de jour, car sinon, je raterais le voyage de nuit et c’est justement ce qui m’intéresse.
Monter dans un train à Zurich et rester assis pendant huit heures m’emplit de joie. Des gens me rejoignent pour un instant, montent et descendent, tapotent sur leurs claviers ou jouent aux cartes dans un carré. Le soleil se lève, puis se couche. Les montagnes, les rivières, les forêts, les villages, les villes défilent. Le temps s’arrête et file en même temps. Soudain, le punk alternatif en chemisette à carreaux qui travaille pour une ONG et remplit un tableau à deux doigts sur son ordinateur portable est remplacé par une dame âgée qui demande très fermement au personnel du restaurant la plus petite bouteille d’eau possible. 5 cl, 4 euros.
J’aime voyager. Pas pour aller quelque part, mais simplement pour le fait de voyager. Ce lieu intermédiaire, où l’on est déjà parti mais pas encore arrivé, me fascine. D’ailleurs, ce n’est pas propre au train.
J’adore aussi prendre l’avion : cette expérience mystique ne perdra jamais de son charme. L’idée de quitter volontairement la terre ferme et de rester suspendu entre la terre et l’espace pendant un moment me remplit d’émerveillement. La procédure stressante qui précède le vol en fait presque une récompense. Je suis comme un chien qui obtient une friandise après avoir réussi un tour. L’enregistrement, le contrôle de sécurité et le contrôle des passeports, la zone internationale près des portes d’embarquement où l’on peut s’empiffrer de fast-food et de bière à 8 heures du matin sans qu’une seule personne ne nous regarde bizarrement. Les touristes stressés avec des oreillers cervicaux et des masques de nuit, les hommes d’affaires sereins en costard-cravate, le chaos de l’embarquement et la bataille pour les compartiments de bagages à main, les instructions de sécurité... Et puis la délivrance lorsque l’avion décolle, conformément au principe de Bernoulli, et que mon estomac fait un petit bond.
J’adore prendre l’avion, mais j’aime encore plus le train.
Parce qu’on a l’impression de voyager et non d’être du bétail en transit. L’offre culinaire avant le voyage est bien meilleure dans et autour des gares. Le Train Bleu de la Gare de Lyon ou la Brasserie Sud de Zurich sont gastronomiquement à des années-lumière de la restauration rapide des aéroports internationaux. Et si jamais la gare ne comporte pas de restaurant digne de ce nom, on en trouve toujours quelques-uns dans les environs. En avion, le désert culinaire commence après le contrôle de sécurité, composé de sandwichs triangles, de fast-foods américains et de spécialités « locales » hors de prix qui sont aussi les moins comestibles.
Embarquer dans un train n’est pas stressant. Pas de groupe d’embarquement, pas de confusion quant au numéro de porte, il faut simplement repérer le quai et l’emplacement de son wagon. Selon les pays, cela peut s’avérer plus ou moins compliqué. Au Japon ou en Chine, il est indiqué directement sur le quai de la gare où faire la queue pour trouver sa place. En Italie et en France, c’est un peu plus confus. On y annonce en effet le numéro de quai juste avant l’entrée en gare du train. Si on le sait déjà, on peut rester tranquillement assis au café.
Même les retards sont rarement un problème, ils sont plutôt source d’agacement. Les personnes qui voyagent en train prévoient généralement un temps de battement suffisant, en arrivant la veille et repartant le lendemain pour un voyage d’affaires par exemple. Mieux vaut prévoir deux heures à Paris pour la correspondance vers Londres puisqu’il faut changer de gare. Si, malgré tout, les choses tournent mal et que je reste bloqué quelque part, je peux au moins en profiter pour explorer la région, comme l’autre jour à Mannheim. À l’aéroport, j’aurais été bloqué dans la zone internationale. À Mannheim, au moins, j’étais à Mannheim. Ce n’était peut-être pas beaucoup mieux, me direz-vous, mais j’étais un peu plus libre.
Je suis tellement obsédé par le train que je choisis volontiers des itinéraires plus longs pour passer plus de temps dans le train. Comme après l’ouverture de la Limmattalbahn, quand j’ai suivi la ligne de bout en bout et ai poursuivi jusqu’à Baden, juste pour profiter de la nouvelle ligne... Cela a duré 40 minutes de plus que n’importe quel trajet entre Zurich et Baden. 40 minutes de voyage gagnées qui m’ont rendu très heureux. Quoi de plus beau que de découvrir un parcours que je connais par cœur sous un nouveau jour !
Les voyages en train s’opposent aussi à la mentalité dominante de la « bucketlist ». Depuis quelques années, une mauvaise habitude s’est installée : les gens me racontent, après les vacances, les destinations qu’ils ont « faites » en vacances. Ils parlent de tout ce qu’ils ont vu, mais pour moi, cela ressemble plutôt à du travail. « On s’est fait Venise » pour dire « Nous avons visité Venise ». C’est aussi ambigu que le titre du film porno Debbie does Dallas. On a fait des choses à Venise ou on s’est fait des gens à Venise ? Le voyage a des airs de coup d’un soir. En avion, on atteint rapidement l’apogée du voyage.
Je préfère voyager sans rien faire et me réjouir du fait que je pourrais enfin finir mon livre, même si je ne l’ouvre même pas parce que je regarde par la fenêtre. Le paysage de la plaine du Pô défile, les peupliers et les pylônes électriques s’enchaînent, les champs se perdent dans la brume matinale. Et je suis content d’arriver à Venise en quelques heures, détendu, revigoré et riche de l’expérience d’un autre voyage en train.
Lorsque j’ai quitté le cocon familial il y a plus de 15 ans, je n’ai pas eu d’autre choix que de me mettre à cuisiner pour moi. Cela dit, il ne m’aura pas fallu longtemps avant que cette nécessité devienne une vertu. Depuis, dégainer la cuillère en bois fait partie intégrante de mon quotidien. Je suis un vrai gastronome et dévore tout, du sandwich sur le pouce au plat digne d’un restaurant étoilé. Seul bémol: je mange beaucoup trop vite.