En coulisse

Coupez ! Quand Blockbuster a ri au nez du fondateur de Netflix

Luca Fontana
12/11/2019
Traduction : Sophie Boissonneau

Lorsque le fondateur de Netflix, Reed Hastings, propose à Blockbuster Video d'acheter sa société pour 50 millions de dollars, on lui rit au nez. C'est alors la pire décision commerciale de John Antioco, CEO de Blockbuster.

Quarante dollars. Pour le retour tardif du DVD Apollo 13.

Reed Hastings, qui à l'époque ne sait pas encore qu'il va fonder Netflix, ne pense pas à payer ses amendes auprès de l'entreprise de location de DVD, Blockbuster Video. Il n'est pas à blâmer pour ce montant absurde tellement il est élevé, mais plutôt la procédure un brin restrictive de Blockbusters. Qu'en aurait dit sa femme ?

Personne ne le sait encore, mais cette amende va transformer l'industrie de la location vidéo pour toujours. C'est l'effet papillon - sous la forme de la pire décision commerciale de tous les temps.

Pour Blockbuster Video.

Il était une fois, l'histoire d'une amende...

Mais ce trajet est différent. Ils passent 1h30 sur la route, les embouteillages sont sans fin. Ils ont le temps de refaire le monde.

« Marc, tu crois qu'il est possible d'envoyer des DVD par la poste sans les casser ? »

La naissance de Netflix

Il n'en faut pas plus pour les deux amis. Convaincus qu'ils peuvent faire mieux que la société rapportant plusieurs milliards de dollars, ils créent leur première start-up avec un capital de départ de 2,5 millions de dollars.

Netflix.

Dès le départ, ils ont un énorme avantage sur Blockbuster Video : Internet. D'où le nom Netflix, « net » pour Internet et « flix » (normalement « flicks ») signifiant film dans le langage informel.

Vient ensuite l'abonnement, pour 22 $ par mois, les clients peuvent emprunter autant de titres qu'ils le désirent, aussi longtemps qu'ils le désirent, sans pénalité de retard. Reed Hastings mise sur le côté pratique. Un an plus tard, Netflix entame sa conversion vers un modèle unique : emprunter sans abonnement n'est plus possible.

La start-up prend de l'ampleur et les gens commencent à s'y intéresser. Netflix ne sera bientôt plus un petit poisson sur le marché de la location.

L'optimisme règne.

La bulle Internet – une crise mondiale

Les progrès d'Internet suscitent l'euphorie. On prend des risques. Les investisseurs font preuve de crédulité. Tout le monde veut sa part et les sociétés s'imaginent peser des milliards rapidement.

Mais pour chaque entreprise qui a réussi à se lancer sur Internet et pèse aujourd'hui plusieurs milliards de dollars, on pense notamment à Amazon ou eBay, des centaines d'autres font faillite, comme Pets.com ou Kozmo.

Netflix est proche de la faillite.

En septembre 2000, Reed Hastings et Marc Randolph ne voient qu'un seul moyen de s'en sortir – et cela les mène à Dallas, au Texas.

Ils vont rencontrer leur ennemi, Blockbuster Video.

Le pire choix stratégique

Les deux amis se regardent une dernière fois avant d'entrer dans la tour de verre et d'acier pour se rendre au 23e étage, où se trouve le bureau de John Antiocos, CEO de Blockbuster.

C'est ici que tout se passe.

Reed Hastings augmente le tempo. « Il y a cependant des domaines dans lesquels Blockbuster pourrait profiter de l'expertise et de la position de Netflix sur le marché, comme les services en ligne. » Reed Hastings a sa place ici, dans ce bureau. « Nous pourrions trouver des synergies qui pourraient faire de Blockbuster et Netflix plus que la somme de ses parties. »

Il ajoute finalement : « Nous devrions unir nos forces. »

Blockbuster n'est pas financièrement dépendant de Netflix. Malgré sa très mauvaise réputation. Les deux amis en ont bien conscience. Mais Blockbuster Video a un plus gros problème : le progrès. Le monde avance et tout se fait en ligne. Blockbuster Video est non seulement mal positionné pour profiter de cette tendance, mais John Antioco ne semble même voir la révolution arriver.

Reed Hastings et Marc Randolph veulent combler le manque. Ils n'ont peut-être pas d'argent, mais l'avenir leur appartient. Peut-être.

Le CEO de Blockbuster se tait. Il fait monter la tension pour les deux hommes qui lui font face. « Si nous achetions Netflix », commence enfin le sauveur d'entreprise, « à quoi pensez-vous ? Je parle de chiffres. De combien parle-t-on ? »

Une seconde qui semble durer une heure. Les deux amis se jettent des regards nerveux. « Nous nous sommes penchés sur les dernières valeurs comparatives », cette fois c'est Marc Randolph qui prend la parole et présente une cascade de chiffres et d'analyses économiques. Reed Hastings s'impatiente.

« Cinquante millions de dollars », l'interrompt-il.

John Antioco a du mal à ne pas sourire.

Cinq minutes plus tard, la réunion est terminée. Blockbuster ne veut rien savoir de Netflix.

« Well. Shit », dit Randolph avec résignation levant son verre en plastique d'un geste sarcastique alors qu'ils sont de nouveau dans l'avion. Reed Hastings se contente de sourire. Il rit même et ne se cache pas.

« Ce que l'on doit faire est maintenant évident », déclare Hastings, « on doit botter le cul de Blockbuster. »

L'art de botter des fesses

Reed Hastings ne pense pas à abandonner. Avec ses experts en informatique, il développe la botte qui est censée botter le cul de Blockbuster : Cinematch Ranking, un algorithme qui personnalise les suggestions de films. Il fait appel à trois ensembles de données :

  1. Quels films les utilisateurs ont-ils déjà visionnés ?
  2. Comment ont-ils évalué ces films ?
  3. Comment les autres utilisateurs de Netflix ont-ils évalué ces mêmes films ?

Peu après Cinematch Ranking arrive une nouvelle fonctionnalité clé : la « watchlist ». Cette liste permet aux abonnés de réserver des films et de les emprunter automatiquement dès que l'emprunt précédent est retourné au centre de distribution. Aucune autre société de location de DVD ne fonctionne aussi efficacement que Netflix.

Par un après-midi pluvieux de juin 2003, Reed Hastings se bat avec son parapluie cassé, il jure. Il vient de visiter le centre de distribution Netflix à Phoenix, Arizona. Foutu parapluie. Son BlackBerry sonne. Il vient de recevoir un nouveau message de Marc Randolph.

« Reed, Netflix a franchi la barrière du million d'abonnés ! On est enfin dans le positif ! »

Netflix est sorti de l'auberge. Reed Hastings ne pense plus à son parapluie cassé. Il marche sous la pluie, trempé, et se sent aussi léger qu'une plume. C'est une de ces promenades magiques dont il se souviendra toute sa vie.

La clé de l'avenir

Fin 2007, il prend une décision : il mise tout sur le streaming.

Mais si Reed Hastings ne trompe pas, il tient la clé pour l'avenir.

Ce n'est pas un simple chiffre. Ce sont les 20 millions de membres qu'avait Blockbuster, alors que, 10 ans auparavant, John Antioco, CEO et sauveur de la société, avait reçu puis moqué les fondateurs de Netflix dans son bureau du 23e étage.

« Well. Shit », dit J. Antioco, résigné.

Il ne rit plus. Netflix vient de gagner la guerre.

Blockbuster s'est fait botter le cul.

La fin de Blockbuster Video

Dans le même temps, les ventes de DVD diminuent. Comme prévu, le support physique s'éteint lentement, du moins dans l'industrie du divertissement. Le boom du streaming lancé par Netflix n'est pas innocent dans cette histoire.

Blockbuster n'arrive pas à se remettre en selle et doit déposer le bilan en 2010. Des milliers de succursales ferment en quelques années. Des milliers de collaborateurs perdent leur emploi. Alors qu'en 2012, Netflix se lance même dans la production de contenus propres comme « House of Cards », Blockbuster est au plus bas.

Le géant titube, puis s'effondre en 2014.

Tout ça pour 40 dollars.

Image titre : Wikimedia Commons / CC BY-SA 2.0

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J’écris sur la technologie comme si c’était du cinéma – et sur le cinéma comme s’il était réel. Entre bits et blockbusters, je cherche les histoires qui font vibrer, pas seulement celles qui font cliquer. Et oui – il m’arrive d’écouter les musiques de films un peu trop fort. 


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